23 novembre 2017
Il faut saluer le courage de Marc-André Thibault de parler de la communauté juive, thème, mis à part quelques rares exceptions, quasi proscris dans le cinéma et le théâtre québécois francophone. S’immiscer dans la vie d’un couple, ce n’est déjà pas facile, et lorsqu’il s’agit d’une union mixte, en l’occurrence un catholique et une juive, les enjeux prennent des allures dramatiquement irréconciliables. Et qu’il s’agit aussi d’une minorité invisible. Pour une fois, bravo !
D’une part, on constate le manque d’intérêt de la majorité à ne pas essayer de comprendre l’autre (ici, il s’agit des Juifs, mais il pourrait s’agir de n’importe quelle autre minorité), ses us et coutumes, sa mouvance dans la cité, ses apports à la communauté, sa connaissance de la langue française très souvent non reconnue ; d’autre part, la propension du minoritaire à dramatiser toutes les situations et à se victimiser sans cesse. Comment réagir alors à cette pièce sincère, parfois excessive, créant des scènes où les mots ne sont plus censurés, participant à un dialogue provocant, mais en même temps enrichissant pour les deux parties en cause.
Tous ont tort et raison, semble dire Thibault, intéressé, il est bien évident, à connaître cette réalité juive montréalaise, une toute autre dimension sociale pour le groupe majoritaire. Étrange situation : le père de la mariée est issu de parents rescapés des camps et réfugiés au Maroc, pour ensuite s’établir au Québec. En Afrique du Nord, il a appris, par défaut, la langue française qu’il a léguée à sa fille.
Si la distribution comprend des noms québécois, tous des comédiens hors-pair, on aurait pu puiser dans le bassin de comédiens juifs-francophones, pas nombreux, il faut l’avouer, mais présents, soulignant une fois pour toutes l’accès des minorités au théâtre québécois.
La petite salle du Prospero, intime espace de poche, sert de lieu à un décor aussi vaste que la place réservée aux spectateurs ; à tel point qu’on croit faire partie du spectacle. Tel semble être le parti pris de l’auteur et metteur en scène. Vivre les situations, essayer de les comprendre et, pour le critique, jeter des regards furtifs de temps en temps, pour deviner ce qui se cache derrière la tête des membres de l’assistance.
Ce qui émane de Mazal Tov, c’est la confirmation que le Juif dans la cité ne sera reconnu que s’il embrasse la langue française comme principal outil de communication au pays (ce qui est tout à fait normal) et qui, en plus, épouse les concepts de la laïcité. La question est posée dans cette fable urbaine qui ne résout pas le problème.
Ce qu’il faut reconnaître cependant, c’est que le texte évite d’aborder la sempiternelle question du conflit israélo-palestinien. Mais sur ce point, l’islamophobie galopante et l’antisémitisme résurgent sont la preuve que cette question épineuse n’est pas prête à se résoudre.
Oui, il est parfois difficile d’être Juif, francophone, totalement intégré (par soi-même) dans la culture québécoise, mais se sentir pourtant toujours étranger. À qui la faute ?
Texte : Marc-André Thibault – Mise en scène : Marc-André Thibault, assisté de Marilou Huberdeau, également à la régie – Décors : Cédric Lord – Costumes : Claudia Ruel – Éclairages : Roxanne Doyon – Musique : Vincent Pascal, Ian Vadnais – Distribution : Alexis Lemay-Plamondon (Philippe), François-Simon Poirier (Patrick), Stéphanie Jolicoeur (Isabelle), Jean-François Casabonne (Ariel) – Production : Théâtre Bistouri.
Durée
1 h 40 (sans entracte)
Représentations
Jusqu’au 9 décembre 2017
Prospero (salle intime)
MISE AUX POINTS
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon. ★★ Moyen. ★ Mauvais. ½ [Entre-deux-cotes]
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