31 décembre 2017
Quelles sont ces étranges lignes que trace Vassilis Mazomenos, chantre invétéré d’un cinéma grec de la post-modernité, véhiculant dès ses débuts, des préoccupations urgentes et essentielles qui marquent son pays. Peut-être celles qu’on a du mal à imaginer, ces lignes de démarcation d’un film-enquête, témoignage personnel au vitriol d’une Grèce nouvelle créée de toute pièce. Les coupables : la mondialisation déchaînée, le nouvel ordre économique ne protégeant, et à peine, que les grandes puissances puisque ce sont les plus avantagées des nations qui profitent de cette manne inventée artificiellement par des conglomérats de la haute finance.
Un film choc, surprenant, nocturne, vociférant sa rage à travers sept tableaux, sept peintures de durées approximativement égales, le tout formant un ensemble cohérent malgré le côté intentionnellement byzantin de chaque partie. Des lignes droites, circulaires, symétriques, désordonnées aussi, comme si la logique de l’ancienne Grèce avait disparu à jamais
Un débat : la crise économique et ses conséquences chez l’individu, dans la société, dans les rapports humains, dans l’air qu’on a du mal à respirer, dans les rapports entre l’État et le peuple, entre le collectif et l’individuel.
La Grèce touristique n’existe plus. Elle n’est que l’image d’une illusion d’optique. La Grèce, la vraie, est celle que brosse Vassilis Mazomenos dans son film le plus éclairé et accessible. Il faut bien s’entendre, car « accessible » n’est pas synonyme de « facile ». Il faut penser, entre autres, à Days of Rage: A Requiem for Europe / Meres orgis, ena rekviem gia tin Evropi (1995), Remembrance / I mnimi (2002) et 10th Day / 10i mera (2012) – pour voir la différence. mera
Aucun message, aucune solution, simplement des situations qu’on retrouve dans de The Terrace, qui parle de la perte des racines, d’un certain héritage, plus tragique lorsque faisant face à la maladie. Ou encore The Company, que la prise du pouvoir économique en Grèce par des étrangers a laissé le pays en friche. La langue des affaires est désormais l’anglais.
Il y a aussi The Factory, troisième partie émouvante dans son portrait d’une homosexualité refoulée qu’un rapport incestueux vient atténuer. Et l’usine en question ne peut plus survivre, elle qui se dédiait aux copies des anciennes statues grecques si prisées par les vacanciers. Ici, le contraste et le parallèle entre le Beau et le Ténébreux se traduit par une mise en scène obsessionnelle qui rompt avec les films précédents de l’auteur. Le personnel et le politico-social s’imbriquent l’un dans l’autre pour former de longues séquences irréprochablement dramatiques.
Le quatrième chapite, Streets, c’est la prise en charge du peuple par le biais d’une révolution urbaine impulsive, non préparée et surtout par la nudité totale d’un jeune policier qui témoigne ainsi de la nature violée de son pays. Le constat est clair.
Et puis Batman, où ceux d’une ancienne classe ouvrière qui parvenait à surmonter les difficultés sont désormais obligés de quémander, à grands coups de risques. La rue n’est plus un espace de liberté, mais d’intolérance et de dangers.
Dans la sixième partie, The Farm, on retrouve en quelque sorte les personnages du premier épisode. Face à la mort prochaine, l’inceste prend des proportions freudiennes plutôt que sexuelles; reflet-miroir d’une société où le collectif n’existe plus. Sans l’aide extérieure, on ne peut compter que sur soi-même.
Et puis, finalement, Live, retour à la (multi)nationale du début, où les visages tombent, les vérités deviennent des menaces, rien ne se passe plus comme avant, ou plutôt, c’est la fin d’une civilisation. Le pays est passé aux mains des autres puissances. Le Premier ministre, fictif, impuissant devant les évènements, n’est plus en mesure de gouverner. Que se passe-t-il? Nous ne dévoilerons rien.
Mazomenos, à l’instar de nombreux de ses compatriotes cinéastes de sa génération, a choisi de rester dans son pays et de mener le combat intérieurement. Comme le faisait, lorsque vivant, le regretté Theo Angelopoulos.
Lutter malgré tout, risquer, s’exténuer pour produire des films, faire souvent appel à la coproduction. Résistant face à l’apathie d’une nouvelle Grèce prise entre l’orientalité de 400 ans de domination ottomane et une modernité (et post-modernité) qui, tranquillement, dresse son arsenal cinématographique pour, non pas faire la morale, mais essayer tout du moins, de dresser le bilan d’un pays qui souffre toujours d’anémie et dont le cri S.O.S. nous paraît si lointain parce sourd, muet, incapable d’exprimer ses incessantes litanies.
La direction artistique de Mihalis Samiotis, les décors de Eleni Papageorgiou et les ambiances musicales de Mihalis Nivolianitis et d’Alexandreis Christaras brossent à coups de pinceaux furtifs et stridents ce portrait d’une magnifique beauté plastique mis en scène par un Vassilis Mazomenos extraordinairement obstiné.
GRAMMÉS
—
Origine : Grèce
Année : 2016
Durée : 1 h 28
Réalisation : Vassilisis Mazomenos
Scénario : Vassilis Mazonemos
Images : Yorgos Papandrikopoulos
Montage : Thanos Koutsandreas
Musique : Alexandros Christaras, Michalis Nivolianitis
Son : Yannis Skandamis, Antonis Samaras
Direction artistique : Mihalis Samiotis
Décors : Eleni Papageorgiou
Costumes : Natasha Sarris
Interprètes : Anna Kalaitzdiou, Adrian Frieling, Themis Panou, Tasos Nousias, Vassilis Mazomenos (voix off), Costas Xikominas, Kostas Berikopoulos, Thodoros Katsafados, George Kalimenis, Costas Xikominas
Producteur : Vassilis Mazomenos
Contact : Horme Pictures (Grèce)
MISE AUX POINTS
★★★★★ Exceptionnel
★★★★★ Très Bon
★★★★★ Bon
★★★★★ Moyen
★★★★★ Mauvais
½ [Entre-deux-cotes]
LES COTES REFLÈTENT UNIQUEMENT L’AVIS DES SIGNATAIRES.
2024 © SÉQUENCES - La revue de cinéma - Tous droits réservés.