6 janvier 2018
La première médiatique d’Enfant insignifiant a eu lieu le 14 décembre dernier, donnant l’occasion à quelques médias privilégiés de couvrir le tout dernier opus du grand dramaturge Michel Tremblay. À Séquences, néanmoins, nous n’avons eu l’occasion de voir cette pièce remarquable qu’hier soir, devant une salle comble, ce qui est d’autant plus encourageant tenant compte de la température glaciale que nous subissons ces derniers jours.
Si d’une part, notre avis ne compte plus vraiment puisque la très grande partie des critiques ont déjà été écrites avant le premier de l’an, force est de souligner notre sincère responsabilité à rendre compte de cet essai poétique que d’aucuns pourraient considérer comme un « chant du cygne ». En fait, c’est tout à fait le contraire; il s’agit, ici, comme la fin d’une époque et le début d’une autre (d’où cette image finale subliminale on ne peut plus concluante); comme s’il fallait en finir avec le passé, avec la religion, les codes sociaux et familiaux établis, tout ce qui régit nos années d’hier et notre devenir. Ce sont ces injustices involontaires posées contre nous et qui auraient pu déstabiliser nos vies que Tremblay aborde dans sa langue particulière, mais aujourd’hui atténuée par l’âge, moins agressive et colorée.
C’est drôle, amusant, nostalgique, émouvant, des mots qui sonnent dans nos oreilles comme des leçons de vie. Des paroles qui, sous leur banalité du quotidien, répondent à une manière de vivre et de voir le monde. Évoquer le film Bambi (vu dans version originale anglaise) et Mrs. Miniver (idem pour la version), c’est se rendre compte d’un passé canadien-français linguistiquement pas trop idyllique, mais maintenue ainsi par un catholicisme exaspérant. Mais cette famille lit aussi du Victor Hugo. Amalgame de foi et de transgression.
Le Michel dans Enfant insignifiant a tous les âges, gamin, adolescent, jeune homme, homme. Dans l’écriture, tout est possible. Mais à voir de plus près, il est question ici d’une double mise en abyme d’un vécu qui unit l’auteur et son personnage biographique, finalement affranchi.
L’ignorance est l’opium des peuples et l’égoïsme percutant. La connaissance, c’est le collectif, la reconnaissance du talent d’autrui, la vision d’un monde qui se construit sans cesse plutôt que de se laisser bercer par les fausses résipiscences qui rendent impuissant. C’est cela Enfant insignifiant, sans doute le plus beau texte de Michel Tremblay, parce qu’il accuse en aimant, parce qu’il respecte les individus en les l’obligeant à réfléchir et, sans doute inconsciemment, parce qu’il permet à son alter-ego de se réapproprier son être, son âme et son esprit.
Pour mener à bien cette mission qui tient parfois du rituel théâtral, une distribution de rêve, tous remarquables de rigueur, de naturel, de compassion. Il en est question lorsque Nana apparaît sous les traits de Guylaine Tremblay. Seule, les autres personnages en arrière-scène, vêtue d’une robe rougeâtre de ces mamans d’autrefois qu’on aime aimer, elle sourit aux spectateurs. Les éclairages de Lucie Bazzo annoncent l’aura qui traversera la pièce du début à la fin.
Cela se passe intemporellement à Key West, donnant l’occasion à Yves Labelle de proposer une image vidéo dont la simplicité, la lueur et les mouvements de l’eau dépassent la réalité. Il y a même dans les accessoires comme cette berge qui sépare la mer de la terre, quelque chose de fellinien et évoquant même L’Éternité et un jour / Mia aioniotita kai mia mera, la Palme d’or cannoise de Theo Angelopoulos où, justement, à un certain point, une famille et des amis se réunissaient pour fêter la vie près de l’océan.
On soulignera la remarquable mise en scène de Michel Poirier, s’en prenant aux moindres détails, totalement dépourvue d’artifice, occupant l’espace dramatique comme s’il fallait inventer le monde.
Pièce-enquête, poésie des mots, tendresse de l’ordinaire, Enfant insignifiant est un exorcisme intérieur qui permettra de repartir à zéro; l’une des plus belles propositions théâtrales de « 2017 ». À bon entendeur, salut!
Auteur : Michel Tremblay – Adaptation : Michel Poirier, d’après son récit Conversations avec un enfant curieux – Mise en scène : Michel Poirier, assisté de Geneviève Lagagé, également à la Direction de plateau – Décors : Olivier Landreville – Accessoires : Normand Blais – Éclairages : Lucie Bazzo – Musique : Christian Thomas – Costumes : Mérédith Caron – Vidéo : Yves Labelle – Comédiens : Michel (Henri Chassé), Ginette (Gwendoline Côté), Isabelle Drainville (la vendeuse et Mlle Karli), Michelle Labonté (la Sœur directrice), Sylvain Marcel (Gabriel), Danielle Proulx (Victoire), Guylaine Tremblay (Nana) – Production : DUCEPPE.
Durée
1 h 50 (sans entracte)
Représentations
Jusqu’au 3 février 2018
Duceppe.
MISE AUX POINTS
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★★ Très Bon. ★★★★★ Bon. ★★★★★ Moyen. ★★★★★ Mauvais. ½ [Entre-deux-cotes]
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