26 avril 2018
Deux expériences chorégraphiques différentes, mais toutes deux porteuses d’un identitaire queer qui revendique son allégeance culturelle, sociale et politique. Une salle remplie à capacité pour les deux spectacles, à forte majorité fin vingtaine, trentaine. Mélange mixte de gars et de filles, de gais et d’hétéros. Bref, ceux et celles qui ont toujours nourri les débats à La Chapelle.
Pour le critique, c’est l’endroit idéal pour ses revendications justifiées, ses rencontres fructueuses avec l’autre, ses intrusions rusées dans des univers parallèles sans qui les changements ne se réalisent pas dans la société. Mais c’est aussi reconnaître la liberté d’expression que procure notre métropole, tant du côté francophone qu’anglophone. Comme quoi le quotidien est parfois pavé de bonnes intentions.
Deux performants, Ellen Furey et Malik Nashad Sharpe (sexe volontairement non identifié). Des artistes absorbés dans un décor sans décor où le corps seulement a ses raisons. Une première partie, seul le silence fait de bruit transgresse les lois de la gravité et situent ces personnages entre Terre et autre Planète imaginée dans une ambiance qui fait la joie de l’assistance. SOFTLAMP.autonomies, c’est ce perdre dans la dimension entre le corps physique et le psychique, c’est réagir à une musique répétitive, celle de la deuxième partie, comme s’il s’agissait d’un hommage au rave, produit culturel d’une autre époque qui traduit magnifiquement bien un monde en perdition, qui refuse catégoriquement le passé et s’emploie à reconstruire un lieu dont on n’a pas idée de quoi il sera formé.
C’est destroy et dans le rythme et les mouvements qui ne cessent de se réinventer sans vraiment le faire. Signe d’un temps où le nouveau siècle commence à peine à construire les balises d’un univers incertain, froid, distant, et dont l’Humanité n’est pas encore claire, quitte à se perdre dans sa forme actuelle. Entre la vie et la mort, si on suit l’actualité quotidienne, les lignes de démarcation ne sont pas si lointaines les unes des autres. Avec SOFTLAMP.autonomies, cette allusion transparaît en filigrane. Et peut-être que les deux concepteurs/trices ne sont pas tout à fait conscient(es). Qu’importe, ce pas de deux apocalyptiques n’est pas dénué de raison.
Andrew Tay, François Lalumière et Katarzyna Szugajew ont créé un territoire intime qui pourrait, de façon hérétique, traduire la Sainte Trinité queer : the Queen, the Butch et the Fag Hag. Mais cette dernière appellation ne fonctionne plus de nos jours, du moins dans certains cercles avec des idéologies politiques plus accentuées, ou peut-être progressistes.
Et puis le spectacle, d’un bordélisme à la fois charmant et attendrissant, à prendre à un degré d’immaturité intentionnelle qui fera rire et jouir de plaisir un certain public. C’est sincère, d’un naturel désarmant (pour ne reprendre ces mots clichés), je-m’en-foutiste, moqueur, cinglant, cynique et tendrement irrespectueux.
La critique du bien-être (voir prospectus de la soirée) est sans doute présente, mais ne sert qu’à divertir puisque la culture queer, c’est de cela qu’elle s’alimente en partie, de bien-être. Mais dans le même temps, les concepteurs ont oublié que ce même groupe social propose des discours politiques vachement intéressants. En se penchant uniquement sur l’insoutenable superficialité de l’Être, ils en oublient l’essentiel.
Sexy, pour certains sans doute. Essentiel, je ne sais vraiment pas! À voir : très certainement.
MISE AUX POINTS
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon. ★★ Moyen. ★ Mauvais. ½ [Entre-deux-cotes]
Fame Prayer / Eating
Durée
1 h approx. (sans entracte)
Représentations
Jusqu’au 1er mai 2018
SOFTLAMP.autonomies
Durée
1 h approx. (sans entracte)
Représentations
Jusqu’au 3 mai 2018
La Chapelle scènes contemporaines
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