26 juillet 2018
Disons-le d’emblée : ce sixième film de la série Mission: Impossible impose un spectacle ahurissant, surtout si vous le voyez en IMAX, où les scènes d’action vertigineuses prennent tout leur sens. Établissant une surenchère sans cesse croissante de film en film, ces scènes sont devenues des morceaux de bravoure tout aussi captivants qu’impossibles et invraisemblables que Tom Cruise, du haut de ses 55 ans (au moment du tournage), prend un malin plaisir à exécuter lui-même, avec bien sûr d’énormes mesures de protection, car il n’est pas question de mettre en danger la vie d’une mégastar valant au bas mot 50 millions de dollars.
Par exemple, dans la fameuse cascade dont tout le monde parle, celle où il saute du toit d’un édifice à un autre en se fracturant une cheville (c’est la prise que l’on voit dans le film), n’oublions pas que Cruise est attaché à un harnais relié à une poulie dont on efface les câbles numériquement en post-production. À aucun moment, l’acteur ne risque de tomber. Cela n’enlève rien à son courage ni à sa grande forme physique, mais ce fait relativise le danger dans lequel il se place. N’empêche, aucune vedette de sa trempe n’aurait la témérité d’aller s’agripper à une corde au-dessous d’un hélicoptère en plein vol.
Tout ce spectacle éminemment divertissant ne devrait toutefois pas nous faire oublier que ces films professent une idéologie dominante, celle de l’Empire américain, qui s’est imposée au monde entier depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale. D’ailleurs, la série télévisée (1966-1973), à l’origine de ces films, s’inscrit dans le contexte de la guerre froide des années 1960. Le but des missions secrètes accomplies par les agents de James Phelps (Peter Graves) était de renverser des régimes communistes, de récupérer des secrets d’états ou de ramener des traîtres à la patrie. Dès 1996, cet objectif est détourné dans le premier film : les agents secrets s’en prennent à d’autres officiers de renseignement devenus renégats. L’Impossible Mission Force (IMF) y dévalise d’ailleurs le centre de la CIA à Langley. Dans les trois films suivants, les agents de l’IMF continuent de s’entretuer jusqu’à la formation du « Syndicate », composé d’agents libres provenant de partout dans le monde. Il ne s’agit plus alors d’imposer la suprématie américaine sur les autres pays mais d’asseoir la supériorité des agents américains sur tous les autres. Mieux : de prouver l’invincibilité de l’IMF sur toutes les autres agences américaines, car seule l’équipe d’Ethan Hunt est juste et droite. Elle seule défend les véritables idéaux des États-Unis : la vérité, la justice et l’American Way partout sur la planète.
Dans Rogue Nation (2015), Hunt affronte son parfait alter-ego du mal en Solomon Lane, le chef du Syndicate, dont le nom peut se traduire par « la voie de Salomon ». Puisqu’il est capturé à la fin du film, ses acolytes se regroupent en « Apôtres » dans Fallout, qui planifient de détruire simultanément le Vatican, la Mecque et Jérusalem à l’aide d’engins nucléaires. L’idée d’éradiquer les trois grandes religions monothéistes (judaïsme, christianisme, islam) d’un seul coup peut sembler radicalement athéiste et anarchiste, mais qu’en est-il du bouddhisme, de l’hindouisme, de l’orthodoxie et, surtout, de l’anglicanisme protestant dont le symbole est l’Abbey de Westminster à Londres? Ils se disent anarchistes car ils veulent renverser l’ordre établi, mais ils sont en fait les membres d’une organisation criminelle, similaire au Spectre des films de James Bond, qui emploient des tactiques terroristes pour arriver à leur fin. Ce sont des WASPs (White Anglo-Saxon Protestants) imbus de pouvoir que le « chasseur » américain Ethan « Hunt » va éradiquer au nom des États-Unis, tout évitant de se faire « marcher » sur les pieds par l’auguste agent de la CIA, August « Walker » (Henry Cavill, toujours aussi monolithique que dans Man of Steel ou The Man Fron U.N.C.L.E., une autre télésérie parano-communiste des années 1960).
En ce sens, Ethan Hunt et son équipe représentent l’establishment américain, le pouvoir en place, l’impunité des services de renseignements qui épient nos moindres gestes et qui interviennent sans autorisation (en France, en Angleterre, au Kashmir). En bout de ligne, Hunt est le chien de garde des États-Unis. Pourquoi alors sommes-nous enclin à nous identifier à ce héros typiquement américain ? Sans doute parce que le scénariste-réalisateur Christopher McQuarrie ne nous laisse pas le temps de réfléchir, tellement sa mise en scène est efficace et enchaîne inlassablement les scènes d’action époustouflantes, mais aussi parce qu’il sait construire une intrigue qui, bien qu’elle soit inutilement compliquée et bourrée de trous de logique, repose sur l’humanité du héros.
À trois reprises, Hunt met en péril sa mission en protégeant la vie d’un collègue ou d’une policière. Émotivement, il est déchiré entre sauver son ex-femme Julia (Michelle Monaghan) ou épargner l’espionne Ilsa Faust (Rebecca Ferguson). Mais les vertus manifestes de ce personnage héroïque compensent-elles pour ses actions impérialistes et interventionnistes? Peut-être symbolise-t-il en fin de compte le paradoxe américain, qui peut aussi bien engendrer la droiture vertueuse d’un Barak Obama ou la dictature insidieuse d’un Donald Trump.
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Genre
Action
Espionnage
Origine
États-Unis
Année : 2018 – Durée : 2 h 27
Distributeur
Paramount Pictures
Horaires & info.
@ Cineplex
Classement
Interdit aux moins de 13 ans
Violence
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MISE AUX POINTS
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. ★ Mauvais. 0 Nul
½ [Entre-deux-cotes]
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