10 septembre 2018
Deux films en tamoul, sous-titrés, longs métrages canadiens inédits ici, 1999 (2009) et A Gun & a Ring (2013). Comme quoi l’intégration des différentes communautés au sein du Canada anglophone demeure intacte et bienvenue. Genre « action », les deux précédents films de Lenin M. Sivam, né au Sri Lanka, laissent la place à un thème actuel qui ne laisse guère indifférent, le transgendérisme, remettant en question les codes fondamentaux de la sexualité et dans le même temps débarrassant l’individu de tout état de culpabilité et de dette envers la société.
Présenté récemment à la 42e édition du Festival des films du monde, Roobha est surtout un acte inusité de courage, encore plus, un acte de résistance bienveillant qui évite, malgré tous les pièges, l’obstacle parfois pernicieux du militantisme queer, sans pour autant le renier, mais en sourdine, sans trop hausser le ton. Effectivement, le drame dans ce très bel exemple de film psychologico-social demeure sa détermination à poétiser le récit, à rendre la proposition aussi palpable qu’essentielle, détournant les codes, les manipulant selon les circonstances. En quelque sorte, posséder entièrement le film.
Quête identitaire, démêlés avec la famille, envie de désir physique et mieux encore amoureux, deviennent des expériences de vie avec des lendemains qui déchantent et enchantent au même temps, un aller-retour où les compromis ressemblent à des pas-de-loup; on ne dévoilera pas la fin, d’une puissance morale et éthique extraordinaire. Sivam est un réalisateur hétérosexuel qui a bien saisi les peurs, les incertitudes et les désirs des transsexuels et des dits « marginaux » Son personnage principal est placé sur un piédestal quasi mystique qui, quels que soient les entraves, lui permet de survivre. Car Roobha, c’est la débrouille, c’est se casser la gueule à plusieurs reprises, c’est aussi un rapport à l’autre, ou plutôt aux autres, des liens parfois dangereux qui se soldent par la concrétisation d’un rapprochement entre l’individu et le monde, entre la vie, l’amour et la mort. C’est une femme interdite, fantastique, au sens propre comme au figuré.
C’est aussi « tomber amoureux » de quelqu’un qui n’appartient pas à son univers marginal, ou mieux dire « marginalisé ». C’est aussi pour ce quelqu’un de reconnaître par un tour de magie que seul peut se permettre le cinéma de « tomber en amour » lui aussi de son contraire, le transgressif, l’interdit. Et c’est incarné aussi pudiquement qu’avec rage par Jesuthasan Antonythasan, coscénariste du film avec Sivam, et dont on avait remarqué la présence dans Dheepan (2015), Palme d’or cannoise accordée à Jacques Audiard.
Roobha, le personnage, c’est Amrit Sandhu, magnifique acteur canadien d’origine singapourienne; il habite son rôle avec une force dramatique hors du commun. Les discussions sur son coming out avec sa famille sont filmées avec un sens inné de la caméra qui ne perd aucune occasion de s’infiltrer à l’intérieur de chaque âme, chacune d’elle prise sur le vif. C’est dur, magnifique, incontestablement révolutionnaire.
Sujet tabou dans un contexte indien, Roobha n’indigne pas; au contraire, il élève l’âme, l’esprit, l’ouverture aux différences et fait fi de tous ces hypocrites qui, en cachette, cachent mille et une perversions. Le réalisateur nous a confié n’avoir pas vu le très beau Une femme fantastique (Una mujer fantástica), du Chilien Sebastián Lelio. Et pourtant, quelques moments dans Roobha le convoquent. Peut-être bien que les films de ce genre sont, dans un sens, des amis qui se tendent la main avec fierté.
Avec Roobha, Lenin M. Sivam ose, écorche, séduit, bouleverse et plus que tout témoigne de son temps. Un temps où les diverses sexualités peuvent finalement s’exprimer et plus que tout, ont droit de cité dans toutes les sphères sociales, politiques et culturelles. Le monde a changé, semble dire un Sivam tout à fait conscient de son époque. Le film mérite hautement une distribution.
Crédit photos : © Next Productions
[ Chaque illustration témoigne des différentes étapes dans la vie de Roobha, transgenre… ]
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MISE AUX POINTS
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. ★ Mauvais. 0 Nul
½ [Entre-deux-cotes]
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