14 septembre 2018
Nous l’attendions avec impatience puisque les classiques grecs ne sont pas monnaie courante dans le théâtre québécois par les temps qui courent et que l’Espace Go inspire surtout par ses nouvelles créations.
Et puis, un texte original de Martin Crimp d’après Les Phéniciennes d’Euripide, traduit en québécois et mis en scène par Christian Lapointe. Un Lapointe en plein délire où les cris fusent de partout avec, parfois, quelques secondes d’accalmie au cours desquelles autant les comédiens que les spectateurs peuvent respirer.
Nous sommes devant un spectacle fourre-tout où les règles du drame antique sont déconstruites selon une perspective actuelle, proche du Québec contemporain. Autant de signes identitaires, témoignages d’une deuxième décennie du 21e siècle annonçant une troisième avec un grand point d’interrogation.
Viol, inceste, guerres fratricides, liens familiaux en total dérèglement, vengeance, loyautés, coups bas, tout ce que la Grèce de Socrates et de ses contemporains nous ont légué, comme ce concept de démocratie, totalement galvaudé aujourd’hui. Code de conduite envoyé aux calendes grecques, du moins du point de vue de Crimp et de Lapointe.
À un moment, malgré notre totale concentration, nous ne sommes plus en mesure de savoir qui est qui. Et pourtant il s’agit d’un texte magique, essentiel, on ne peut plus actuel en ces moments de campagnes électorales. Il faut parler au vrai monde, ne pas trop intellectualiser, même si les propos de Crimp/Euripide/Lapointe sont cinglants, allant droit au but.
Vulgariser ou pas? Telle est la question que se pose le metteur en scène et traducteur. Offrir aux communs des mortels une entrée privilégiée dans l’univers de la scène. Non pas en le poussant à faire un effort pour essayer de comprendre l’espace intellectuel, mais au contraire, en s’adaptant à lui, en optant pour un populisme conciliateur.
Le chœur des femmes est respecté et le message final, comme dans toute tragédie grecque qui se respecte, ne manque pas à l’appel. Néanmoins, à force de trop en mettre, le texte euripidien est presque banalisé, jeté aux oubliettes.
Une création sérieuse, traditionnelle, n’ayons pas peur de dire à l’ancienne, aurait eu plus de poids, quitte à ne pas satisfaire un public qui, de toute façon, n’existe pas et risque de ne jamais exister. En attendant Électre, la prochaine tragédie grecque à Espace Go, en janvier 2019.
Et sur l’écran vidéo, des extraits fugitifs du Edipo Re, le film de Pier Paolo Pasolini, mettant en exerge une de ses actrices fétiches, Silvana Mangano. Entre le Pasolini cinématographique et les Crimp/Lapointe dramaturgiques, une sorte de point commun subliminal : la barbarie du quotidien. Résister au temps, ou pas.
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Texte
Martin Crimp
d’après Les Phéniciennes d’Euripide
Traduction québécoise
Mise en scène
Christian Lapointe
Assistance à la mise en scène
Emmanuelle Kirouac
Dramaturgie
Andréanne Roy
Décors
Jean Hazel
Éclairages
Sonoyo Nishikawa
Vidéo
Lionel Arnould
Costumes
Elen Ewing
Musique
Nicolas Basque
Accessoires
Claire Renaud
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Distribution
Marc Béland, Florence Blain Mbaye
Lise Castonguay, Claudia Chills Rivard
Gabrielle Côté, Laura Côté-Bilodeau
Melissa Larivière, Nathalie Mallette
Marie-Ève Perron, Ève Pressault
Éric Robidoux, Jules Ronfard
Paul Savoie, Gabriel Szabo
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Production
Espace Go
Centre national des arts du Canada
(carte blanche)
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Durée
1 h 40
(sans entracte)
Représentations
Jusqu’au 6 octobre 2018
MISE AUX POINTS
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. ★ Mauvais.
½ [Entre-deux-cotes]
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