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Les fées ont soif

1er octobre 2018

CRITIQUE
| SCÈNE |

Élie Castiel

★★★★

LA DÉTRESSE ET L’ENCHANTEMENT

Texte et pièce mythiques, situant la dramaturgie québécoise dans ce qu’elle conserve de plus solide, de plus digne, d’enrichissant. Choix des mots qui dépassent la simple poésie, le verbe s’affranchissant de tout antagonisme avilissant, poussant le spectateur à réévaluer sa notion de l’éthique et de la morale.

Et 40 ans auparavant, une pièce scandale que les protestataires qualifient d’indigne et d’hérétique. Pour ces années de l’après-Révolution tranquille à peine naissante, Les fées ont soif est une révélation et plus que tout, la confirmation d’une plume souveraine, foisonnante, ouverte à de multiples interprétations. Denise Boucher était présente le soir de la Première au Rideau-Vert ; moments de forte émotion, de nostalgie, mais surtout de prise de conscience sociale et politique. Sa pièce n’a pLesas vieilli.

Aucune ride, aucune redite. Au contraire, cette nouvelle mouture a quelque chose de magique : comment consolider le regard d’antan et celui d’aujourd’hui ou mieux encore à celui d’aujourd’hui. Une metteure en scène, Sophie Clément, prête à tout pour s’emparer de la scène et la faire sienne autant que celle des femmes présentes, les trois comédiennes et les deux musiciennes – on vous prie de les remarquer car elles ne cessent de contribuer largement à la complicité qui existe entre elles et les trois interprètes.

Crédit photo : © Jean-François Hamelin

L’art de produire des sensations, de mesurer ses gestes, de crier quand il le faut, de se soumettre à une méthode d’interprétation digne de ce nom. Les femmes soumises par les excès de la religion, des religions, quelle que soit la foi, des hommes surtout. C’est de cela qu’il s’agit dans Les fées ont soif ; et elles se révoltent contre l’oppression et la servitude. Au centre de la scène, au fond, la Vierge Marie qui inspire pourtant le respect et devant elle, la Trinité Marie-la Statue-Madeleine. Un dialogue entre les trois. Parfois trois monologues. Toujours ce jeu entre les mots et les gestes et ce rapport complexe, viscéral, contradictoire et opposant croyance et laïcité. Non, ce n’est pas une pièce-scandale, mais une pièce où la soif de libération et le refus de détresse se transforment en enchantement.

Il y a le passé, les décennies qui l’ont suivi et le #MoiAussi actuel, pertinent, jamais aussi opportun. Pièce au féminin, à tous les temps de conjugaison, fière, reluisante, évitant le pamphlet politico-social, donnant la parole aux voix éteintes qui, aujourd’hui, ne sont plus dupes et s’harmonisent au présent et au futur.

Pour les hommes dans la salle, nombreux, il y a sans doute là l’occasion de se demander s’il n’est pas finalement temps qu’ils se forgent un nouvel ordre béhavioriste qui placerait le masculin proche du féminin. Cela est sans aucun doute la vraie morale du « vivre ensemble ».

Toujours ce jeu entre les mots et les gestes et ce rapport complexe,
viscéral, contradictoire et opposant croyance et laïcité. Non, ce
n’est pas une pièce-scandale, mais une pièce où la soif de libération
et le refus de détresse se transforment en enchantement.

Auteure
Denise Boucher

Mise en scène
Sophie Clément

Assistance à la mise en scène
Alexandra Sutto

Décors
Danièle Lévesque

Costumes
Linda Brunelle

Éclairages
Julie Basse

Musique
Angelo Barsetti

Musiciennes
Patricia Deslauriers, Nadine Turbide

Maquillages / Coiffures
Angelo Barsetti

Distribution
Bénédicte Décary, Caroline Lavigne

Pascale Montreuil

Production
Théâtre du Rideau Vert

Durée
1 h 20
(Sans entracte)

Représentations
Jusqu’au 10 novembre 2018

Théâtre du Rideau-Vert

MISE AUX POINTS
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. Mauvais. 0 Nul.
½ [Entre-deux-cotes]

 

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