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Indecent

6 mai 2019

Critique
| SCÈNE |
Élie Castiel

★★★★★

LE VOYAGE DES COMÉDIENS

Voici une mise en abyme fascinante, explorant les règles de l’écriture et qui permet à Paula Vogel de créer quelque chose de sensationnel en s’inspirant de la pièce controversée The God of Vengeance, de l’auteur Sholem Asch, écrite en yiddish, en 1906. Un tableau vivant qui explore l’univers féminin, et plus encore la condition des Juifs de l’époque.

La religion, la société, la collectivité, la famille, l’Homme, la Femme, la volonté de s’émanciper sans enfreindre les préceptes rigides de la tradition. Une pièce qu’on essaie de monter malgré les obstacles; essayer de trouver des producteurs; vivre chaque difficulté de façon intense, démesurée; et pour tout compliquer, une histoire d’amour entre deux femmes; une Juive orthodoxe tombant éperdument amoureuse d’une prostituée travaillant dans le bordel que tient son père.

Autant de thèmes, pour l’époque, qui provoquent les bien-pensants, une société de début de siècle encore prisonnière de ses accommodements raisonnables qu’une simple pièce de théâtre tente de déséquilibrer. Une pièce aussi qui voyage dans la temps, avec ses comédiens et ses créateurs qui y croient tant que leurs cœurs bât. À travers les villes européennes et même en terre d’Amérique.

En fait, God of Vengeance, titre de la pièce originale, d’où s’inspire Indecent, se présente comme une accusation à Dieu, celui de la monothéie judéo-chrétienne, osant la remettre en question pour le bien de l’individu, de la femme surtout, pour son bien-être, sa liberté d’expression et de mouvement sans contrevenir à la dignité des autres. C’est déjà un discours révolutionnaire.

Avec Indecent, pièce osée, ouverte,  libre de ses actes… le Centre Segal confirme de nouveau qu’il demeure un des endroits essentiels de la dramaturgie anglophone montréalaise.

Et puis, une version de Indecent au Centre Segal, signée par une Lisa Rubin en possession complète d’une scène presque reconstruite; murs et plafonds délabrés de l’Histoire de l’humanité qui comptent des années de plomb et de destruction; un éclairage qui joue non seulement sur la peau des comédiens, mais également sur les sensations, les atmosphères. Quelque chose de magique opère dans cette proposition. Rubin en est-elle consciente, tant l’humilité respire à chaque seconde près. Jamais aussi obsédée par la notion de simplicité, avec des résultats spectaculaires, comme c’est le cas ici. Une direction de comédiens et surtout de comédiennes qui vivent chaque moment comme s’il s’agissait du dernier.

En première rangée de la grande salle du Segal, petite si on compare à d’autres théâtres montréalais, ça donne des frissons lorsque, par exemple, les larmes de Lemml (magnifique Ryan Bommarito) n’arrivent pas à couler. Et que dire des deux amantes, incarnées par Cara Krisman (l’ingénue) et Julia Juhas (Halina), toutes deux emportées dans un monde à part qu’on ne peut identifier.

Et ça parle aussi de la judaïcité, de sa place dans une société occidentale souvent peu accueillante, hostile; de son combat pour survivre en dépit des obstacles et bien entendu, de l’antisémitisme chronique, comme d’un état minéral qu’on porte dans son ADN de génération en génération. Et comme pas souvent dans les arts de la création, de l’homosexualité en période de crise sociale ou politique. Comment la vivre? Comment faire semblant? Comment la penser lorsqu’il y a d’autres priorités? Mais sans doute qu’être ce que l’on est, est déjà une priorité.

Avec Indecent, pièce osée, ouverte, libre de ses actes (certains brefs moments pourraient ne pas convenir aux enfants), le Centre Segal confirme de nouveau qu’il demeure un des endroits essentiels de la dramaturgie anglophone montréalaise.

Crédit photos : © Andrée Lanthier

Texte : Paul Vogel, d’après The God of Vengeance, de Sholem Asch. Mise en scène : Lisa Rubin. Assistance à la m.e.s. : Amanda Goldberg. Décors : Brian Dudkiewicz. Éclairages : Claude Accolas. Costumes : Louise Bourret. Musique : Nick Burgess. Chorégraphie : Ray Hogg. Projections : VideoCompany.
Distribution : Ryan Bommarito (Lemml), Cara Krisman (Chana), Mark Uhre (Avram), Julia Juhas (Halina), Dov Mickelson (Mendel), Felicia Shulman (Vera), Sam Stein (Otto), et les musiciens Gabriel Paquin-Buki, Brigitte Dajczer et Sergiu Popa.

Avis
Interdit aux moins de 13 ans

Production
Centre Segal arts de la scène

Durée
1 h 45

[ Sans entracte ]

Représentations
Jusqu’au 19 mai 2019

Centre Segal

MISE AUX POINTS
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. Mauvais.
½ [Entre-deux-cotes]

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