27 avril 2020
Les attentes étaient élevées pour Blood Quantum, deuxième long métrage du cinéaste Jeff Barnaby. C’est qu’en 2013 nous avions reçu toute une claque – celles non annoncées font le plus de dégâts –, Rhymes for Young Ghouls, fable punk et révisionniste plantée dans l’univers des pensionnats autochtones. Réappropriation d’une histoire bafouée en empruntant les codes du cinéma de genre, Rhymes se brûlait d’avoir à dire, par l’entremise de la fiction, une injustice autrement circonscrite au documentaire. Pourtant, l’influence de ce genre se faisait déjà ressentir, notamment les œuvres engagées de la cinéaste abénaquise Alanis Obomsawin. Pour Blood Quantum, Barnaby s’inspire d’ailleurs librement des Événements de Restigouche (1984), d’Obomsawin, relatant les rafles de la Sûreté du Québec pour empêcher en Gaspésie la pêche au saumon, droit ancestral des Mi’kmaqs.
Nous sommes à la même année de ces rafles, en 1981, dans la réserve de Red Crow, située à la frontière du Québec et du Nouveau-Brunswick. Un quotidien sans histoire est perturbé par des événements incongrus : un pêcheur remarque que ses prises éviscérées continuent de gigoter. Un chien exécuté reprend vie, enragé. Le shérif Traylor (Michael Greyeyes) reçoit des appels alarmants. Son fils, Joseph (Forrest Goodluck), âme égarée qui attend un enfant avec sa copine blanche, lui donne également du fil à retordre. Son ex-femme, Joss (la cinéaste Elle-Máijá Tailfeathers, qui a signé le magnifique court métrage Bihttoš), mère de Joseph, tente d’agir à titre de médiatrice. Pour compléter le portrait familial, le demi-frère de Joseph, Lysol (Kiowa Gordon), jeune adulte trouble, traversé d’une colère qui n’attend que d’exploser.
Ce titre, Blood Quantum, intrigue d’emblée. Le blood quantum (« degré de sang » en français) est une mesure controversée du niveau de sang autochtone chez un individu, afin de lui offrir un statut « officiel » d’Autochtone. Pensez au midi-chlorians dans The Phantom Menace, mais avec des répercussions évidemment plus concrètes, touchant l’identité et la descendance. Qualifié à la fois de construction colonialiste et de moyen nécessaire pour préserver les communautés indigènes, il prend ici des connotations positives, ce sang pur rendant immun à une infection transformant les gens en zombies avides de chair fraîche. À mesure que les semaines et les mois s’effritent, la communauté mi’kmaq devient le dernier rempart contre une épidémie qu’on imagine mondiale. Le rapport est inversé : faut-il accueillir les Blancs qui ne sont pas atteints (du moins, pour le moment) et risquer la mort, refuser de leur prêter mainforte, ou carrément les exécuter sans procès ?
L’idée est bonne, et recelait un fort potentiel dramatique, mais son exploitation reste en surface. Au lieu de creuser le commentaire attendu sur des siècles de colonialisme, Barnaby préfère faire des références faciles au Robert Rodriguez de From Dusk Till Dawn et à Tarantino. Exemple : au lieu de les appeler « zombies » (la convention du genre veut qu’on ne les qualifie jamais de ce nom), les survivants préfèrent le terme « zeds », ce qui occasionnera un gag que n’importe quel amateur de Tarantino aura vu venir de loin. Il n’est pas question de critiquer ce plaisir de rendre hommage, de jouer avec la glaise, de s’offrir des orgies de boyaux de sang (les effets spéciaux, signés par les Blood Brothers, sont glorieusement juteux), mais le peu de développement narratif et de complexité psychologique laisse sur sa faim.
Forcément subversif le film de zombies ? Avec la pléthore d’allégories sociopolitiques venues vider le genre de ses entrailles depuis une vingtaine d’années, nous le sentons de plus en plus maintenu artificiellement en vie. Blood Quantum confond malheureusement concept et profondeur. Bien que nous accueillions à bras ouverts son désir de n’être parfois qu’un bête divertissement de série B, ses écueils scénaristiques et une direction d’acteurs aléatoire résultent en une tentative honnête, bien que manquée, de tirer son épingle d’un jeu dont on ne connaît que trop bien les règles.
2024 © SÉQUENCES - La revue de cinéma - Tous droits réservés.