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Séquences à la Berlinale 2022 – Jour 1

11 février 2022

Peter Von Kant de François ozon

Avec 1600 membres de la presse présents (au lieu des 5000 habituels), et alors que les membres du EFM (European Film Market)  sont condamnés à visionner les films en ligne, la Berlinale nous semblait un peu vide ce matin à notre arrivée sur Potsdamer Platz, la célèbre place berlinoise construite sur les ruines du Mur. Point de foule de journalistes et distributeurs se massant pour pénétrer dans les salles et foin des joyeux tumultes de retrouvailles et d’échanges qui précèdent habituellement les conférences de presse. Alors qu’avant le badge de presse suffisait pour entrer, on doit réserver ses billets en ligne pour toutes les projections et toutes les conférences remplies à 50%. Places attitrées, ne vous en déplaise. Si cela a l’avantage d’offrir un siège supplémentaire pour disposer ses petites affaires, n’empêche que tout cet espace donne une impression de tristesse. Souhaitons que la nature humaine, qui a horreur du vide, sache le combler avec de belles expériences de cinéma. Le jury international semblait bien prêt à le faire, les Karim Ainouz (Brésil, Algérie), Said Ben Said (France, Tunisie), Anna Zohra Berrached (Allemagne), Tsitsi Dangarembga (Zimbabwe), Ryûsuke Hamaguchi (Japon) et Connie Nelsen (Danemark), présidés par nul autre que le cinéaste M. Night Shyamalan (USA), ont allègrement répondu aux journalistes et partagé avec joie leur premier grand moment de cinéma (grâce à une question de Séquences, hum!)

Parlant de cinéma, le film d’ouverture Peter von Kant de Francois Ozon, présenté en Compétition, nous a une nouvelle fois permis d’apprécier la diversité du talent de ce cinéaste inclassable, qui touche à tous les styles en se trompant rarement. Le film réinvente Les larmes amères de Petra von Kant de Rainer Werner Fassbinder, qui percuta les écrans pour la première fois en 1972… lors de la Berlinale! Ozon transforme cependant le huis clos entre femmes de Fassbinder. En lieu et place de Petra, une dessinatrice de mode lesbienne, de sa cousine Sidonie, de son amante Karin ainsi que de Marlène son assistante dans un luxueux appartement de Cologne, Ozon met en place des personnages masculins et excorie son message politique. La filiforme Petra devient ainsi Peter (Denis Menochet), un cinéaste de talent, bedonnant et abusif, Marlène, l’assistante souffre-douleur qui ne prononce pas un mot de tout le film est maintenant Karl (Stéphane Crépon), un jeune dont la minceur contraste avec le pesant Peter. Sidonie (Isabelle Adjani) est une actrice rendue célèbre vingt plus tôt par Peter. Et Karin devient Amir, un splendide jeune homme dont Peter tombe éperdument amoureux. Jeux de pouvoir, rapports de force, règlements de compte, sensualité de l’image et richesse des coloris, beaucoup de ce qui faisait la force du film de Fassbinder est présent dans le film d’Ozon. Outre le message politique, il y manque cependant la lenteur de la caméra de Fassbinder, qui semblait flotter à travers les personnages et donnait une touche d’autant plus lancinante aux échanges brutaux entre les femmes que ses images constituaient un régal pour les yeux. Reste que le Peter de Denis Ménochet, qui a le physique de Fassbinder lui-même, est déchirant dans sa passion pour Amir qui lui fera verser, lui aussi, des larmes amères. Quand à la Sidonie interprétée par une Isabelle Adjani sérieusement amincie et dont le visage un peu figé (botox!) garde tout de même la qualité d’expression de son magnifique regard, elle est cette diva qui a souffert aux mains d’un réalisateur et qui règle ses comptes avec lui, en toute amitié malsaine. Elle est théâtrale et subtile, innocente et secrètement farouche. Un bon rôle pour elle.

Rimini, le film de l’Autrichien Ulrich Seidl, porte sur un chanteur de charme sur le retour (Michael Thomas), qui divertit les seniors en visite d’hiver dans les hôtels quasi vides et enneigés de Rimini en Italie.  Les temps sont durs pour le chanteur vieillissant et il doit louer sa maison à des fans tout en se logeant dans des hôtels vides. Il s’envoit également en l’air avec les soixantenaires payantes du coin. Le film revient à un ancien sujet de Seidl dans sa série Paradis : Amour où il explorait la vie de cinquantenaires qui se rendent dans des lieux de vacances au Sénégal pour trouver des hommes africains prêts à leur faire l’amour contre rétribution financière. Seidl revient au sexe payant dans des lieux de villégiature, mais cette fois-ci il nous montre la vie solitaire et somme toute assez triste d’une ancienne vedette de seconde catégorie, auquel il ne reste que peu de choses dans la vie, sinon ses costumes de scène, l’amour de ses vieilles fans et l’alcool. Mais soudain, sa fille fait son apparition et exige l’héritage de sa mère.

Viens je t’emmène d’Alain Guiraudie

La section Panorama nous a offert hier Viens je t’emmène d’Alain Guiraudie, une comédie dramatique filmée à Clermont-Ferrand (France) portant sur Mérédic (Jean-Charles Clichet), un jeune homme tombé amoureux d’une prostituée mariée et qui se retrouve à héberger Salim (Illiès Kadri), un jeune sans-abri origine arabe qui a fui sa famille de Lyon. Tout cela alors que Clermont-Ferrant vient de vivre sa première attaque terroriste. La présence de plus plus insistante de Salim s’effectue au grand dam de certains voisins de son immeuble et avec l’approbation de certains autres. Guiraudie s’amuse à déconstruire les clichés et à confronter bonnes intentions, bêtise malsaine et peur du Jihad. Il confronte son public et le force à examiner ses préjugés à travers une oeuvre touchante et originale.

ANNE-CHRISTINE LORANGER

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