En couverture

Les Marguerites

22 février 2018

CRITIQUE
| SCÈNE |

★★★★ ½
LE REMPART DES BÉGUINES
Élie Castiel

Le décor se déploie sur toute l’horizontalité de la scène, espace ouvert à tous les possibles; et dans cet amalgame d’archaïque et de futuriste, le verbe et la parole reprennent leurs droits, comme si ces facultés du langage articulé se perdaient dans la nuit des temps; récit déterminé et intransigeant de Marguerite Porete, béguine, ou religieuse laïque, intellectuelle, à qui l’on doit Le miroir des âmes simples et anéanties et qui seulement demeurent en vouloir et désir, écrit en 1295, celle par qui, dans cette troublante et émouvante adaptation moderne de Stéphanie Jasmin,  les mots ne seront pas au rendez-vous parce qu’à l’instar de la Pucelle d’Orléans, elle finira morte au bûcher pour crime d’hérésie.

Louise Lecavalier © Photo : Caroline Laberge

Suite

Le chemin des Passes-Dangereuses

16 février 2018

CRITIQUE
| SCÈNE |

★★★★
LE SILENCE DES MÂLES
Élie Castiel

Comme dans le théâtre antique, le décor dans Le Chemin des Passes-Dangereuses exprime la nudité des lieux, quelque chose de rocailleux, d’austère, de grave, mais de neutre aussi, permettant autant d’aspérités et d’isolements; un cadre bien pensé qui s’harmonise aisément aux personnages dès que leurs premières paroles sont prononcées.

Une tragédie québécoise, et pourtant si universelle, c’est ce qui ressort de ce texte de Michel Marc Bouchard datant de vingt ans, présenté en 1998, en outre, chez Duceppe. Ce soir de Première médiatique et mondaine, on peut également compter sur une nouvelle génération de spectateurs qui découvrent la dynamique québécoise en matière de rapports familiaux, ici, le silence du mâle québécois, qu’il soit père, fils ou frère; mutisme fait de gestes incongrus, de paroles à peine prononcées, de doutes, d’incertitudes et de ce que l’on a toujours caché, l’homosexualité (particulièrement masculine), la peur du sexe, la crainte du qu’on-dira-t ’on.

Félix-Antoine Duval, Alexandre Goyette et Maxime Denommée – CRÉDIT Photo : © Caroline Laberge

Oui, dans cette version singulière et moderne de la pièce-culte et rare de Bouchard, les âmes masculines sont en peine, métaphore d’un Québec en proie à son identité, cherchant le rêve quasi utopique de l’indépendance qui, si l’on croit l’auteur, passe d’abord par une prise en charge de soi-même, car pour atteindre la souveraineté nationale, il faut tout d’abord et individuellement posséder sa langue, sa culture, son appartenance, ses origines, sa vision sociale et démocratique. D’où cette belle formulation du québécois parlé dans cette version, sommant le spectateur à le respecter et à l’accepter telle qu’il est. Les grands québécois du théâtre et du cinéma, deux arts par excellence de la représentation, l’ont compris depuis fort longtemps, tentant à chaque fois d’illustrer adroitement le bien-fondé de leurs visions d’un pays en devenir.

Martine Beaulne signe ici une mise en scène où le
minimalisme de la peinture scénique et la pertinence
du propos reposent entièrement sur le dépouillement.

Ici, ce sont des paroles d’hommes, des chasseurs et en même temps des proies, ceux par qui, la majeure partie du temps, les scandales arrivent, des individus aujourd’hui psychologiquement dispersés, notamment en ce qui a trait à la majorité hétérosexuelle. Mais la pièce-phare de Bouchard offre de nouvelles perspectives, des idées d’un nouvel encadrement social et par extension, politique.

Que dire des trois comédiens? Nous devons parfois éviter le cliché souvent lourd et répétitif du niveau d’interprétation pour simplement souligner qu’autant Maxime Dénommée, Alexandre Goyette que Félix-Antoine Duval se soumettent docilement et parfois-même avec une tendresse infinie à cet exercice intellectuel sur la mémoire et sur la confession des secrets et des sentiments lourdement enfouis à l’intérieur de leur être. Grâce aux images en mouvement et à ceux de la représentation, le Québec commence progressivement à se souvenir, à s’intégrer à son Histoire et à finalement la répertorier dans le conscient collectif.

Martine Beaulne signe ici une mise en scène où le minimalisme de la peinture scénique et la pertinence du propos reposent entièrement sur le dépouillement. Pari gagné. Et on retiendra finalement que malgré tout et contre toute attente, dans ce Chemin des Passes-Dangereuses, les hommes aussi ont une âme, même lorsqu’ils marchent à pieds nus.

Auteur : Michel Marc Bouchard – mise en scène : Martine Beaulne, assistée de Guillaume Cyr – décor : Claude Goyette – éclairages  : Guy Simard – vidéo : Yves Labelle – musique : Ludovic Bonner – costumes : Martine Dubé, assistée de Daniel Fortin – comédiens : Maxime Denommée (Ambroise), Félix-Antoine Duval (Carl), Alexandre Goyette (Victor), Pierre Collin (voix du père) – production : DUCEPPE, en collaboration avec Montréal en Lumière.

Durée
1 h 15 (sans entracte)

Représentations
Jusqu’au 24 mars 2018
Place des arts (Théâtre Jean Duceppe)

MISE AUX POINTS
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon. ★★ Moyen. Mauvais. ½ [Entre-deux-cotes]

Senia

8 février 2018

CRITIQUE
| DANSE |

★★★★ 

FORMES INTRIQUÉES

_ Élie Castiel

Chorégraphe atypique de la modernité occidentale, Marcos Morau soumet ses danseurs à un exercice de remise en question les situant dans des zones, certes inconfortables, mais qui par la même occasion leur permet de revendiquer des terrains inconnus de plein droit. Diverses disciplines se conjuguent dans cette vibrante Siena : théâtre, danse, jeux de la perception liés aux corps, des entités physiques qui gesticulent, se déhanchent, poursuivent d’étranges chemins et avant tout, somment le spectateur d’avoir recours à son intelligence.

Tableau à l’appui, La Renaissance italienne s’installe en premier lieu, annonçant une modernité en devenir, se renouvelant sans cesse à travers les siècles. La discipline « moderne » en matière d’arts se développent alors selon les tendances politiques et sociales de chaque période explorée.

Photo © Jesús Robisco

Suite

Semaine du 26 janvier au 1er février 2018

25 janvier 2018

AVIS AUX CINÉPHILES
Il arrive parfois que certains films ne soient pas présentés toute la semaine, particulièrement dans les salles indépendantes. Consultez les horaires quotidiens, ceux-ci pouvant changer d’un jour à l’autre.

Dû à des facteurs hors de notre contrôle et au nombre insuffisant de participants, les textes critiques, incluant le « coup de cœur », pourraient enregistrer des retards même si nous faisons tous nos efforts pour l’éviter.

Veuillez noter que certaines bandes-annonces de films étrangers ne sont pas sous-titrées.

| EN SALLE À MONTRÉAL |

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COUP DE CŒUR
PADMAAVAT

Sanjay Leela Bhansali

CRITIQUES
Le vénérable W.

Barbet Schroeder

Les scènes fortuites
Guillaume Lambert

SANS COMMENTAIRES
Geek Girls

Gina Haraszhti

Maze Runner: The Death Cure
Wes Ball

Three Heroes and the Princess of Egypt
Konstantin Feoktistov

PRÉ-SORTIES SÉLECTIVES
Jeudi 1er février – @ Cineplex

Winchester
Michael Spierig, Peter Spierig
V.o. : anglais / Version française
Winchester : La maison hanté

Classement
Interdit aux moins de 13 ans
(Violence / Horreur)

Fiche détaillée
Semaine du 2 au 8 février

 

Legend Lin Dance Theatre

CRITIQUE
| DANSE |

The Eternal Tides

★★★★

LOUANGE DE LA LENTEUR

_ Élie Castiel

« La vie va et vient, à l’instar de la montée et du reflux de la marée ». Cette phrase, prise du programme de la soirée, confirme la spiritualité qui imprègne ce spectacle grandiose, inusité, une découverte, car il serait injuste de dire que nous sommes en plein dépaysement; au contraire, et à juste titre, si on saisit le bien-fondé de la chorégraphie dont nous sommes les témoins privilégiés, on reconnaît, à titre d’humain, que le cycle de la vie est un éternel recommencement, de la naissance à la mort. Un rendez-vous avec la grandeur de la nature, le rapport entre l’être et l’animal, entre le terrestre et l’aquacole, leurs correspondances, leurs agressions inévitables, leur limpidité.

Mais c’est aussi le rappel qui confirme que les sociétés occidentales doivent ultimement cesser de courir sans but. Sur ce point, Lin Lee-Chen donne aussi une leçon de comportement à son pays et à d’autres contrées du monde, réglés, aujourd’hui, selon une vision de l’Ouest, où la lenteur n’est pas une qualité, mais un défaut qui mine le progrès économique.

© Michel Cavalca

D’une pensée symétrique exemplaire, la chorégraphe, mythique dans son pays, soumet le corps des danseurs à un rapport avec les divers et multiples mouvements de la vie : générosité et agressivité, amour et turpitude, autonomie et collectivité… Ça relève également autant du théâtre que de l’opéra, amoureux, tragique, en symbiose avec les éléments de l’existence et les règles scéniques de la représentation.

The Eternal Tides se conjugue au passé et par un
tour  inhabituel de prestidigitation, se transforme en
une mise en abyme du présent… d’une radieuse beauté.

Si en premier lieu nous ne reconnaissons pas la grammaire chorégraphique, nous restons attentifs à ce qui se passe autour de ce décor prestigieux et d’un raffinement exemplaire, respectueux, le temps de situer notre sens de la perspective dans un domaine inconnu et pourtant si proche de nous. Il suffit de bien comprendre l’individu et sa culture pour parvenir à une symbiose humaine; en filigrane, The Eternal Tides aborde subtilement la notion du vivre-ensemble, qui n’est pas simplement respecter l’autre, mais le comprendre, essayer de lire entre les lignes ce qui nous dérange en lui et réaliser que nous avons tort. Thème d’actualité au Québec dont nous avons hâte qu’il disparaisse. Sans doute, le jour où les individus apprendront à raconter leurs histoires et celles des autres.

Finalement, The Eternal Tides se conjugue au passé et par un tour inhabituel de prestidigitation, se transforme en une mise en abyme du présent. Comme la vie, subtile, élégante, agressive et en même temps d’une radieuse beauté.

LES MARÉES ÉTERNELLES
Chorégraphie : Lin Lee-Chen – conception visuelle : Lin Lee-Chen – lumières : Cheng Kuo-Yang – costumes : Wang Chia-Hui – chanteur : Hsu Ching-Chwen – batterie : Ho Yi-Ming, Hsiao Ying – danseurs : Corps de ballet du Legend Lin Dance Theatre – production : National Performing Arts Center / National Theater & Concert Hall, Taïwan (Chine) – diffusion : Dance Dance.

Durée
2 h (sans entracte)

Représentations
Jusqu’au 27 janvier 2018
20 h – Place des Arts (Théâtre Maisonneuve)

MISE AUX POINTS
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon. ★★ Moyen. Mauvais. ½ [Entre-deux-cotes]

Voyage(s)

23 janvier 2018

CRITIQUE
[ SCÈNE ]

★★★★

SABLES MOUVANTS

_ Élie Castiel

Le théâtre expérimental a ceci de particulier qu’il soumet le spectateur à un rapport avec son intellect. Les notions du politique, social, individuel et collectif se retrouvent sur un même espace, le temps d’un dialogue entre les créateurs et le public, la plupart du temps, des complices d’une obsession sur la condition humaine.

Toujours est-il que l’artiste multidisciplinaire Hanna Abd El Nour utilise le mythe comme intervenant à une cause malheureusement malmenée par l’exil, l’ailleurs ; oui, un autre espace inconnu qu’il tente d’amadouer pour finalement retrouver un sens, même minime, de la dignité. Il est dommage que les paroles de Jerusalem in my Heart, étrangement mélancoliques, sortes de mélopées orientales n’étaient pas traduites en surtitres, contrairement aux disciplines comme l’opéra, ou dernièrement, quoique de façon limitée, dans le significatif Warda, au Prospero.

Il est entouré, ou plutôt devient acolyte-victime de Stefan Verna, autre déplacé, expatrié qui, certes, parle moins mais véhicule la pensée par le biais d’une course effrénée à travers un espace scénique en forme de désert. Mais un désert fait de sables mouvants que les quatre protagonistes de cette traversée sans doute biblique tentent d’éviter.

Oui, bien entendu, il y a cette icône de la danse et de la dramaturgie québécoise, Marc Béland, qui proche de la soixantaine, soumet son corps, encore jeune, à une dynamique de la représentation qui a à voir avec la notion d’obsession : passion pour le geste, amour du mouvement, relation incontournable avec la scène, mais surtout un regard jeté sur le spectateur qui oblige ce dernier à intervenir.

Le geste créatif de Hanna Abd El Nour est d’une
lucidité  obsédante qui s’abandonne dans les
méandres fragiles et incontournables de l’expérience
humaine. Bouleversant, édifiant, essentiel.

L’ensemble des comédiens  © Joseph Elliott Israel Gorman

C’était mon cas, à la première rangée, à quelques pas de lui; je réponds par une expression complice du regard (sans doute, un réflexe dû à mes cours d’interprétation dans un passé lointain, caressé aussi par de très brèves paroles échangées avec lui lorsque nous habitions, je suppose, dans le même, comme on dit ici, « bloc appartement »). Pendant quelques secondes, j’ai eu la chair de poule, mais sensation vite ramenée sur terre par la participation des autres membres de l’équipe.

Les éclairages, faisant partie des personnages, se mettent à la disposition de cet acte de création que remet en question l’expérience théâtrale. Et puis une fin qui n’en est pas une… confirmant de façon à la fois émouvante, sensible et volontairement agressive que « tout change », tel que Arriola nous le rappelle constamment.

Mais une chose est claire : dans la politique actuelle en termes de culture, ce n’est pas une catégorie à part qu’il faut inventer pour ceux venus d’ailleurs; au contraire, ils doivent totalement s’intégrer à l’intérieur de la culture officielle. Les autres endroits du Canada le font; la France l’a toujours fait; les États-Unis (rien à dire à ce sujet; sur ce plan, c’est parfait); quant au Québec, seuls la danse et le théâtre ont courageusement entamé quelques pas. Il ne reste que le cinéma; parce que cette forme de représentation est plus populaire. C’est donc une question politique. Le défi est donc lancé.

En attendant, le geste créatif de Hanna Abd El Nour est d’une lucidité obsédante qui s’abandonne dans les méandres fragiles et incontournables de l’expérience humaine. Bouleversant, édifiant, essentiel.

Direction artistique : Hanna Abd El Nour – direction de production : Pierre-Yves Serinet – dramatugie et mise en scène : Hanna Abd El Nour – assistance à la mise en scène et régie : Camille Robillard – éclairages : Martin Sirois – costumes : Fruzsina Lanyi – graphisme et web : Hugo Nadeau –– chant, musique et conception sonore : Radwan Moumneh (Jerusalem in My Heart) – distribution : Sylvio Arriola, Marc Béland, Stefan Verna – production : Volte 21 – diffusion : La Chapelle Scènes Contemporaines.

Durée
1 h 20 (sans entracte)

Représentations
Jusqu’au 3 février 2018

MISE AUX POINTS
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon. ★★ Moyen. Mauvais. ½ [Entre-deux-cotes]

La meute

21 janvier 2018

CRITIQUE
[SCÈNE]

★★★★ ½

BRISER LE CONFORT
ET L’INDIFFÉRENCE

_ Élie Castiel

Sans aucun doute, La Licorne débute la saison hivernale avec, déjà, une des pièces maîtresses de la dramaturgie québécoise moderne; tant par son actualité irréversible, son argumentation lucide, inquiétante, que par sa puissance d’évocation rarement vue dans notre contexte national.

C’est cru, mais pas gratuitement, innovateur dans sa liberté de paroles et de mouvements, et plus que tout, par l’effet dévastateur qu’elle jette sur les spectateurs, totalement décontenancés, surtout à mesure que le récit progresse, jusqu’à la finale, impitoyable. Une fois sortis de la salle, nous sommes impuissants à placer un seul mot.

Bien entendu, il n’est pas nécessaire de rappeler que La meute est en lien direct avec les récentes dénonciations d’abus sexuels, hétérosexuels aussi bien qu’homosexuels. Inutile aussi de souligner que le texte de Catherine Anne Toupin se détache totalement de la controverse Catherine Deneuve & consortium, visant, au contraire, et directement, là où ça blesse et remet les pendules à l’heure en ce qui a trait à la condition masculine : le sexe.

Lise Roy, Guillaume Cy et Catherine-Anne Toupin [ © Suzane O’Neill ]

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