24 novembre 2017
La première question qu’on est en droit de se poser est de savoir pourquoi une adaptation théâtrale du fort probablement meilleur film de fiction de Denis Côté. Le cinéma, médium de tous les possibles, offrait l’occasion à l’éclectique cinéaste de jouer avec les angles, les cadrages, la narration, même avec la direction des comédiens.
Éléments, dans ce cas-ci, quasi intransmissibles. Avouons tout de même que le décor de Lyne Paquette pour cette production tout à fait inattendue reflète magnifiquement bien la vision du metteur en scène. Reproduire les instants pivots d’une relation homosexuelle et la présence d’une troisième personne, celle par qui le drame arrive ; une situation où la banalité flirste agressivement avec la tragédie. Sans oublier le seul personnage masculin (physiquement parlant) de ce drame ambiant. Bravo à Alexandre Lavigne qui s’en tire avec tous les honneurs – Le bilinguisme parfait peut servir dans la quête des rôles (n.d.l.r.).
Car ici, comme dans le film, il s’agit d’un fait divers qu’on retrouve à la une des quotidiens populaires, mais que Côté et Michael Mackenzie réhabilite selon une vision intellectuelle. Bien entendu, dans le programme de la soirée, Mackenzie explique sa vision des choses. Cela est le cas pour n’importe quel spectacle. Mais il est également conscient des risques que cette proposition tenait. Pour cela… chapeau d’avoir osé !
Le minimalisme de la scénographie est au diapason avec la rigidité de l’ensemble. Après le choc de l’instant, on constate que c’est voulu. Nous sommes au théâtre et devant un environnement naturel, tout est rendu possible. Cela donne à Julie Tamiko Manning la reconnaissance qu’elle mérite. Sa présence et son ton de voix naturels révèlent toute une gamme d’émotions. Elle existe, pour elle et pour nous. Congrats !
Natalie Liconti est convaincante, mais elle joue, ce qui, pour les circonstances, est déjà bien. Et le jeu pervers de Leslie Baker nous rappelle qu’au théâtre, comme au cinéma, les rapports entre les comédiens et le médium qu’ils défendent est totalement une question de morale.
Côté récit, nous sommes en pleine forêt, avec ses propres bruits des arbres et les sons animaliers, loin de la civilisation, là où le meilleur et le pire peuvent arriver. Un monde hors du temps qui invente ses propres règles, ses propres signes, ses révélations et quelque chose de magique qui a à voir avec le mystère de la nature.
Dans cet esprit, Michael Mackenzie sort gagnant de cette entreprise avec discipline, sens de l’humoir noir, et qui demande un talent fou pour qu’elle réussisse, même si ce n’est pas entièrement. Quoi qu’il en soit, Denis Côté peut dormir sur ses deux oreilles.
| VIC AND FLO SAW A BEAR |
Mise en scène : Michael Mackenzie, assisté de Cristina Cugliandro – Traduction : Michael Mackenzie, d’après le scénario du film Vic et Flo ont vu un ours, de Denis Côté – Décors : Lyne Paquette – Costumes. : Fruzsina Lanyi –Son: Peter Cerone – Design vidéo : Mariana Frandsen – Éclairages : Tim Rodrigues – Distribution : Julie Tamiko Manning (Vic), Natalie Liconti (Flo), Alexandre Lavigne (Daniel), Leslie Bake (Jackie) – Production : Talisman Theatre.
Durée
1 h 40 (sans entracte)
Représentations
Jusqu’au 2 décembre 2017
Centaur (Salle intime)
MISE AUX POINTS
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon. ★★ Moyen. ★ Mauvais. ½ [Entre-deux-cotes]
23 novembre 2017
AVIS AUX CINÉPHILES
Il arrive parfois que certains films ne soient pas présentés toute la semaine, particulièrement dans les salles indépendantes. Consultez les horaires quotidiens, ceux-ci pouvant changer d’un jour à l’autre.
Dû à des facteurs hors de notre contrôle et au peu de collaborations, les textes critiques pourraient enregister des retards. Néanmoins, nous déployons tous nos efforts pour éviter cette situation.
Veuillez noter que certaines bandes-annonces de films étrangers ne sont pas sous-titrées.
Il faut saluer le courage de Marc-André Thibault de parler de la communauté juive, thème, mis à part quelques rares exceptions, quasi proscris dans le cinéma et le théâtre québécois francophone. S’immiscer dans la vie d’un couple, ce n’est déjà pas facile, et lorsqu’il s’agit d’une union mixte, en l’occurrence un catholique et une juive, les enjeux prennent des allures dramatiquement irréconciliables. Et qu’il s’agit aussi d’une minorité invisible. Pour une fois, bravo !
D’une part, on constate le manque d’intérêt de la majorité à ne pas essayer de comprendre l’autre (ici, il s’agit des Juifs, mais il pourrait s’agir de n’importe quelle autre minorité), ses us et coutumes, sa mouvance dans la cité, ses apports à la communauté, sa connaissance de la langue française très souvent non reconnue ; d’autre part, la propension du minoritaire à dramatiser toutes les situations et à se victimiser sans cesse. Comment réagir alors à cette pièce sincère, parfois excessive, créant des scènes où les mots ne sont plus censurés, participant à un dialogue provocant, mais en même temps enrichissant pour les deux parties en cause.
Tous ont tort et raison, semble dire Thibault, intéressé, il est bien évident, à connaître cette réalité juive montréalaise, une toute autre dimension sociale pour le groupe majoritaire. Étrange situation : le père de la mariée est issu de parents rescapés des camps et réfugiés au Maroc, pour ensuite s’établir au Québec. En Afrique du Nord, il a appris, par défaut, la langue française qu’il a léguée à sa fille.
Si la distribution comprend des noms québécois, tous des comédiens hors-pair, on aurait pu puiser dans le bassin de comédiens juifs-francophones, pas nombreux, il faut l’avouer, mais présents, soulignant une fois pour toutes l’accès des minorités au théâtre québécois.
La petite salle du Prospero, intime espace de poche, sert de lieu à un décor aussi vaste que la place réservée aux spectateurs ; à tel point qu’on croit faire partie du spectacle. Tel semble être le parti pris de l’auteur et metteur en scène. Vivre les situations, essayer de les comprendre et, pour le critique, jeter des regards furtifs de temps en temps, pour deviner ce qui se cache derrière la tête des membres de l’assistance.
20 novembre 2017
Hatef Alimardani fait partie de ces réalisateurs iraniens contemporains qui osent s’exiler loin de la capitale téhéranaise pour filmer un « ailleurs », poser un autre regard sur une frange alternative méconnue de ce grand pays de plus de 80 millions d’habitants, un peu même à la manière d’Abbas Kiarostami qui n’a jamais hésité à s’égarer volontairement à travers les villages les plus reculés de l’Iran (par exemple à Koker et au nord du pays).
En effet, l’on retrouve chez Alimardani une certaine influence inconsciente ou non-avouée de la fresque cinématographique kiarostamienne. Ainsi, le film Aba jan a pour toile de fond la ville de Zanjan, située dans le nord-ouest de la capitale iranienne, menant vers la route de la ville de Tabriz et de la Turquie. Nous nous retrouvons rapidement dans le contexte de la violence de la guerre Iran-Irak des années 80 et ses impacts sur ses habitants qui se trouvent à environ 800 km de Bagdad (Irak).
À cette époque et aujourd’hui encore, la province de Zanjan reste majoritairement rurale et Azérie [1] (langue appartenant au groupe des langues turques de la famille des langues altaïques). D’ailleurs à l’écoute de la bande originale, on y attend la sonorité mélodieuse de l’élégante langue azérie.
Du film d’Alfred Hitchcock, Patrick Barlow a retenu les lignes principales, conscient qu’au théâtre, certaines séquences sont inadaptables. Idem pour le réalisateur, qui avait puisé ses sources à partir du roman de John Buchan.
Toujours est-il que la mise en scène d’Eda Holmes, également nouvelle directrice du Centaur, opte allègrement pour la parodie, le ton comique, la farce vaudevillesque, en accord avec les pièces de divertissement. Et ça ne peut que nous plaire.
Car ici, l’interprétation est le noyau du récit, une histoire rocambolesque qui nous séduit, nous désoriente (c’est là un des buts du théâtre), nous envoûte et finit par nous laisser un goût de bien-être qui se répand partout. Suite
19 novembre 2017
Après le récent et surprenant Mort d’un commis voyageur (Death of a Salesman) au Rideau Vert, Arthur Miller récidive au TNM avec Vu du pont (A View from the Bridge), adaptée à l’écran en 1962 par Sidney Lumet. À l’époque, le film avait surpris, grâce à la performance magistrale de Raf Vallone et à la mise en scène néoréaliste du cinéaste socialement engagé.
Lorraine Pintal reprend ce drame familial dans une version théâtrale traduite en québécois par Maryse Warda. Les dialogues, parfois évidents, relève de la tradition orale réaliste, et ici, en harmonie avec la classe sociale représentée ; nul doute qu’ils retiennent constamment l’attention du spectateur, le deuxième soir de Première, d’un silence absolu.
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