20 février 2020
La 70e Berlinale, sous les auspices de la nouvelle direction formée par le binôme de Carlo Chatrian et de Mariette Rissenbeck, s’est ouverte avec My Salinger Year, le nouvel opus de Philippe Falardeau, mettant en vedette Sigourney Weaver et Margaret Qualley. Le film est une délicate (et délicieuse) adaptation de l’ouvrage autobiographique de Joanna Rakoff sur son travail comme assistante d’édition pour l’agence qui représentait le célèbre auteur américain J.D. Salinger.
Tombé à 49 ans amoureux des œuvres de Salinger, Philippe Falardeau voulait tellement faire ce film qu’il s’est rendu lui-même à Cambridge pour y rencontrer Joanna Rakoff. My Salinger Year est lui-même à l’image du reste de l’œuvre du cinéaste : visuellement inventif tout en restant sobre et offrant une riche, quoique subtile, palette d’émotions.
Tout comme dans Monsieur Lazhar, on y retrouve un personnage dans un no man’s land professionnel : amoureuse de la littérature et souhaitant devenir elle-même écrivain, Joanna se voit confrontée à lire et à répondre au courrier d’un autre auteur, au lieu de travailler sur ce qui la passionne. Pas à pas, et poussée par le célèbre auteur lui-même, elle se découvre elle-même, ses forces et son intelligence littéraire. On ne saurait demander mieux comme film d’ouverture.
La satisfaction engendrée par le film de Falardeau a fait agréablement contraste avec l’irritation générale engendrée par certaine des décisions des nouveaux directeurs. Le retard du jury international présidé par Jeremy Irons pour la toute première conférence de presse a ainsi laissé aux collègues des quatre coins du monde tout le loisir de discuter. De l’avis général, non seulement l’affiche de cette nouvelle édition est particulièrement laide, mais le remplacement de l’application Berlinale par un site web optimisé est un désastre, la première pouvant en effet être téléchargée et consultée hors-ligne alors que le second nécessite une connexion parfois coûteuse pour les visiteurs étrangers. Encounters, une nouvelle section compétitive, remplace deux sections appréciées du public, soient Nativ sur les films des Premières Nations des cinq continents (et où le Canada présentait toujours des films) et Cinéma culinaire, qui réunissait les gourmands. Nouvelle direction signifie un nouveau style, mais était-il si besoin d’en faire autant ?
17 février 2020
De l’énoncé « diamant brut » peuvent bel et bien résonner finesse et richesse : la finesse et la richesse d’une pièce qui se voudrait unique et rare, qui se voudrait profonde et énigmatique. Mais de « diamant brut » peut aussi retentir la dureté de la forme, de cette forme qui, rude et non taillée, frappe par sa vitalité, son impulsivité, sa violence. Multipliant les festivals de renom (Telluride, Toronto, New York, Rotterdam), le dernier long-métrage des cinéastes américains Josh et Benny Safdie, Uncut Gems, arrive, dans le paysage cinématographique actuel, comme cette parfaite pierre précieuse naturellement acérée.
Débutant son récit dans la rudesse d’une mine de diamants éthiopienne, où deux mineurs profitent du brouhaha causé par la blessure d’un de leurs confrères pour aller dérober une opale noire, Uncut Gems entame son parcours incisif en suivant le voyage de cette opale jusqu’en Amérique… ou plus précisément jusqu’à notre arrivée dans la colonoscopie du personnage principal, Howard Ratner (remarquablement joué par Adam Sandler). Du cabinet médical, nous suivons alors, à un rythme effréné, Howard qui nous amène dans son univers : le Diamond District de New York. Juif bien établi du quartier, Howard passe tout son temps à organiser et réorganiser ses affaires, multipliant les prêts sur gages et les emprunts dans le but de faire un grand coup d’argent. Et ce coup ne peut venir que d’une direction, son obsession : parier sur le basketball. Peu importe que son mariage tombe en morceaux, que son amante fasse à sa tête et que son beau-frère, à qui il doit beaucoup d’argent, ait envoyé deux tueurs à ses trousses, Howard ne voit que loin devant lorsque, venu dans son magasin pour acheter des accessoires en diamants, le grand joueur de la NBA Kevin Garnett (jouant son propre rôle) tombe sous le charme de son opale noire. Les dés sont jetés et, bien souvent, rien ne va plus dans l’univers chaotique d’Howard.
À mi-chemin entre les films de Cassavetes (The Killing of a Chinese Bookie, 1976), les films de Scorsese (Taxi Driver, 1976) (à noter que Scorsese fait lui-même partie de la production d’Uncut Gems), et les jeux d’arcade des années 1980, ponctués de leur musique électronique, le film des frères Safdie poursuit la consécration magistrale de ces deux cinéastes new-yorkais du temps présent. Souvent vus comme les moutons noirs de l’Amérique, boudés par les Oscars, ils proposent avec ce projet de longue haleine, leur ayant pris dix ans à réaliser, une suite à leur approche stylistique bien établie (Good Time, 2017) tout comme un questionnement social et humain aiguisé et pertinent.
Avec son style grinçant, où les personnages passent leur temps à s’enterrer mutuellement, lorsque ce n’est pas la musique stridente qui les enterre à son tour, le film des frères Safdie a été comparé, par plusieurs, à une crise cardiaque, une angine de poitrine, une crise d’angoisse ou d’épilepsie. En filiation avec Good Time, qui questionnait directement la notion de « bon temps », Uncut Gems perpétue la réflexion des cinéastes sur le divertissement et le plaisir contemporains. « Are you having a good time? », demande l’un des tueurs à gage à Howard. À fond dans le divertissement, le film est poussé au bord de l’indigeste, transformant le pur plaisir en commentaire, le suspense en film d’auteur. Mais la plus riche réflexion offerte par Uncut Gems, faisant, de ce film, un grand film, réside dans l’image de cette opale noire, moteur du récit entier. C’est cette opale, après tout, qui lie les mondes quelque peu caricaturaux, du moins pris avec légèreté, des juifs new-yorkais, axés vers le gain et le futur, et des afro-américains, amoureux des diamants, de l’éclatant et du temps présent. L’opale porte en elle une grande signification, tel que l’explique Howard à Garnett : elle porte chance et, aussi vieille que les dinosaures, elle porte en elle l’histoire de l’humanité. Dans les mains de Garnett, l’opale lui permet de gagner des matchs comme elle permet, par procuration, à Howard de gagner ses paris. Mais que recèle donc cette opale sinon une bonne histoire? Au-delà du spectre de ses couleurs, Garnett y voit la rareté, la provenance, l’Afrique, la terre, l’origine, la force, la résistance; il y voit une filiation, un héritage. La pierre devient puissante parce qu’elle porte en elle l’histoire que Howard lui a donnée et parce que cette histoire prend sens chez celui qui y croit. Loin de la réalité tragique des mineurs présentée au début du film, la bonne histoire est donc celle à laquelle nous voulons croire. C’est cette histoire qui permet à certains de se dépasser, à d’autres de contrôler leur prochains pour leurs propres gains. Et c’est cette histoire qui permet finalement de capter l’attention d’une foule au-delà de tout excès stylistique et toute tentative d’indigestion.
14 février 2020
Nous étions tous convoqués au Lion d’Or, rue Ontario, pour le dévoilement de la programmation des Rendez-vous Québec Cinéma, qui auront lieu du 26 février au 7 mars 2020. La salle est comble, c’est un succès pour les organisateurs. La nouvelle directrice Myriam D’Arcy va mener le jeu; à noter que Ségolène Roederer demeure à titre de directrice générale. Frédérick Pelletier est le nouveau grand responsable de la programmation, Il va lancer les premiers chiffres : 300 films, dont 200 courts et moyens métrages; il y aura 80 premières, dont comme toujours les films d’ouverture (Les Nôtres de Jeanne Leblanc) et de clôture (Jukebox : un rêve américain fait au Québec d’Éric Ruel et Guylaine Maroist). La programmation comprend comme toujours le retour sur les principaux longs métrages de l’année, mais aussi pour les documentaires et les courts métrages.. Cette année les Rendez-vous se targue de présenter le « premier film Netflix »; faut-il vraiment être fier de cela ? Plusieurs voudront voir une primeur comme le premier long métrage de Jean-Carl Boucher (vedette des films de Ricardo Trogi), Flashwood, ou Mont Foster de Louis Godboout. La porte-parole de l’événement cette année est Monia Chokri. Les Rendez-vous de cette année sont placés sous la mémoire de Yolande Simard-Perrault et d’Andrée Lachapelle.
Il y a également le retour, attendu, du gala PRENDS ÇA COURT, grande fête du court métrage, événement crée par Danny Lennon et qui reprend après une année de pause. Les Rendez-vous se prolongeront au cinéma Capitol de Drummondville du 27 au 29 février) et aussi au Ciné-répertoire de Joliette (17 février).
7 février 2020
Figure énigmatique s’il en est, le cinéaste d’origine acadienne Rodrigue Jean a développé en 30 ans une œuvre radicale et nécessaire en exposant sans affect les marges de notre société. Celles où évoluent clandestinement prostitués et toxicomanes, êtres écorchés par la vie et par un capitalisme qui les recrache forcément, parce qu’improductifs selon ses lois toutes puissantes. D’une brève recherche sur Internet, nous revenons pratiquement bredouilles; quelques photos à peine de Jean, dont une dans la vingtaine, en noir et blanc, où nous le méprenons un instant pour Jack Kerouac ou pour l’un de ces beatniks parcourant librement les États-Unis. La carrure de Ti-Jean, oui, mais surtout ce regard dur, à travers duquel transparaît une vulnérabilité prenante. Aux cinq ans, l’artiste se matérialise, un nouveau film sous le bras, avant de disparaître on ne sait où. Initiateur du groupe d’action en cinéma Épopée avec le monteur Mathieu Bouchard-Malo, il a signé un des films d’ici les plus importants de la décennie 2000, le documentaire Hommes à louer, qui suivait sur un an plusieurs prostitués mâles, leur donnant un espace de parole et d’écoute. Son dernier film de fiction, L’acrobate, recoupe quelques fétiches du cinéaste et des influences évidentes, entre autres celles de Jean Genet et de Rainer Werner Fassbinder.
La mise en place est d’une simplicité assumée. Christophe (Sébastien Ricard), quarantenaire parvenu, achète sur un coup de tête un appartement pas tout à fait terminé au sommet d’une tour du centre-ville de Montréal. Il y fera la rencontre imprévue de Micha (Yury Paulau), acrobate russe blessé pour des raisons nébuleuses. Cet ange déchu, vagabond sans le sou, va s’immiscer rapidement dans la vie de cet autre à la vie réglée, en déséquilibre depuis la dégénérescence d’une mère (Lise Roy) dont il s’occupe maladroitement. Esseulés, les deux hommes vont développer une relation construite sur des jeux sexuels violents, où tour à tour ils seront dominants et dominés. S’aiment-ils? Si c’est le cas, blesser par amour est le mot d’ordre, chaque blessure étant donnée et reçue comme une décharge électrique. Le seul moyen de ressentir passe par les coups, les étranglements, l’humiliation. N’importe quoi pour s’arracher aux réflexes conditionnés par un monde programmé pour se construire, s’ériger toujours, à l’image de ces tours infinies que Jean filme en de longs plans fixes, à la recherche de traces d’humanité, alors que celles-ci se trouve plus bas, les pieds bien ancrés au sol, marchant dans les rues en groupes serrés et revendicateurs.
Le temps se dilate, la progression psychologique est lente, le jeu tantôt effacé, tantôt d’une intensité presque insoutenable. L’acrobate en confondra plus d’un, notamment lors de ces scènes de sexualité d’une frontalité rarement vue dans notre cinéma. La presse fera peut-être sensation du caractère pornographique de ces scènes, que d’aucuns pourraient qualifier de gratuites, alors qu’elles illustrent un rapport aux corps dénaturé, voire économique. Pourtant, entre ces moments de brutalité, des zones d’accalmie, notamment lorsque Christophe, sous les ordres de Micha, lui rasera les jambes, puis le sexe. Redoutons le moment où un intervieweur zélé demandera à Ricard, encore une fois d’une grande justesse dans sa retenue, si ces scènes ont été simulées, car bien sûr cette question de la simulation importe peu, tant tout ici est factice, dissimule un vide abyssal. Le sexe est purement une monnaie d’échange et se transite selon les besoins les plus impératifs. Et les plus vils.
Le spectateur se laissera donc prendre dans cet étau qui se resserre avec une résolution quasi désintéressée. Bien que le récit s’égare parfois dans des surlignages pesants (la mère de Christophe lui dira : « T’as changé on dirait »; perspicace la mère) une calme assurance dans la mise en scène intrigue, notamment dans ces jeux de verticalité, symbolisés par l’appartement de Christophe et le métier de Micha (de très belles scènes mettant en scène des trapézistes viennent ponctuer le récit). Tout de même, osons critiquer cette vision bouchée de la ville et des rapports intimes dits contemporains. Dans ce projet politique d’étaler la relation (très) particulière de ces deux hommes à une condition générale de l’intimité au XXIe siècle, une naïveté qui aurait sans doute mieux passée il y a 25 ans, à l’époque de Maelström et autres Un crabe dans la tête.
L’acrobate sera exigeant pour le commun des mortels, mais ce film avec en son centre une large fêlure ne s’adresse pas à celui-ci, du moins pas directement. Il s’agit d’un cri de désespoir rendu sourd par le son des villes, d’une complainte âpre contre un monde qui s’isole pour mieux se protéger. C’est la réaction violente d’un animal blessé. C’est un film qui, par amour, ose détester ce que nous sommes devenus.
5 janvier 2020
Mentions : Mad Dog and The Butcher – Les derniers vilains, The Twentieth Century
5. Les barbares de La Malbaie (Vincent Biron)
Un drame sportif atypique déboulonnant le mythe du bro debilitus, d’un humour gris comme les routes enneigées qui mèneront le joueur de hockey déchu Yves Tanguay (surprenant Philippe-Audrey Larue-St-Jacques) de La Malbaie dans Charlevoix à Thunder Bay en Ontario pour un tournoi supposément salvateur. Le réalisateur Vincent Biron et les scénaristes Eric K. Boulianne, Marc-Antoine Rioux et Alexandre Auger se sont autant inspirés d’un Rocky que d’un certain cinéma indépendant américain (Alexander Payne, Andrew Bujalski) pour nous livrer cette œuvre ne reniant pas le grand public, osant même plutôt l’amener courageusement en terrains inconnus.
4. Antigone (Sophie Deraspe)
Un film fou, enragé, avec en son centre la jeune comédienne Nahéma Ricci-Sahabi, livrant une performance digne de Renée Falconneti, prenant sur elle le poids d’un monde insensé, jusqu’au démantèlement complet de son être. Sophie Deraspe confirme son statut de cinéaste imprévisible, de haut vol, mélangeant ici la tragédie grecque et le drame social, jouant dans les zones floues séparant documentaire et fiction avec une aisance confondante.
3. La femme de mon frère (Monia Chokri)
Vif, drôle, intelligent, maniéré (dans le bon sens du terme) : plusieurs qualificatifs conviennent à La femme de mon frère. Les initié-es savaient déjà que Chokri possède un incroyable talent de scénariste et de réalisatrice (son court métrage Quelqu’un d’extraordinaire); les autres ont découvert une signature précise et inimitable, en continuité avec le meilleur d’un cinéma québécois généralement pastiché sans grande saveur. Ici, les hommages (et les répliques) enchantent et laissent entrevoir une longue et fructueuse carrière qui ne fait que commencer.
2. Carnaval (Alexandre Lavigne)
L’anomalie de la liste, un premier film du jeune comédien Alexandre Lavigne (Prank), tourné à peu de frais, toujours à la recherche d’un distributeur, pigeant dans les codes du cinéma lo-fi (voire amateur) des années 90 pour traiter de nostalgie, non pas dans un rapport culturel ou référentiel (ce qui aurait été facile et attendu), mais plutôt pour parler du temps qui passe et de notre capacité à guérir d’une tragédie personnelle. La distribution (Julie Leclerc et Gabriel Szabo en tête) émerveille (vous allez rire et pleurer, promis) et la réalisation parvient à subjuguer avec des bouts de ficelle. À cet effet, une scène où est détournée une pièce d’Alanis Morissette demeure, dans sa simplicité, l’un des moments les plus bouleversants de notre cinéma cette année.
1. Kuessipan (Myriam Verreault)
Un film à la fois de son époque et immémorial, documentaire de fiction, récit d’apprentissage, prise de parole de voix qu’il fait du bien d’entendre. Il aura fallu dix ans à Myriam Verreault pour répondre à son fabuleux À l’ouest de pluton. Ici, le même souci de documentariste d’aller saisir l’expérience humaine dans ses inflexions les plus subtiles, ce qui n’empêche pas de grands mouvements dramatiques, dans cette histoire de deux jeunes Innues de la Côte-Nord aux trajectoires opposées. Sharon Fontaine-Ishpatao et Yamie Grégoire nous ont donné des personnages complexes auxquels il serait difficile de ne pas s’identifier, malgré la distance qui pourrait nous séparer de leur expérience. Le meilleur film québécois d’une année, accordons-le, encore une fois exceptionnelle.
4 janvier 2020
Little Women (Greta Gerwig)
Nul besoin de connaître l’original, car le film de Gerwig s’autosuffit largement. Il s’agit d’une œuvre où la linéarité traditionnelle du récit s’égare au profit d’un montage qui repose sur des liens émotionnels et non de cause à effet. On plonge en pleine confiance dans cet univers qu’on souhaiterait ne jamais quitter.
Mad Dog Labine (Jonathan Beaulieu Cyr et Renaud Lessard)
Pour leur premier long métrage, les réalisateurs ont osé le mélange des genres en proposant un docufiction hautement savoureux, au cœur du Pontiac. Le talent des deux jeunes comédiennes contribue au succès de ce film qui commente avec humour et profondeur la vie dans une région parfois oubliée du Québec.
Booksmart (Olivia Wilde)
Pour son premier long métrage, Olivia Wilde propose une comédie réflexive à la fois irrévérencieuse et authentique qui joue avec les codes des films pour ados de manière assumée et renouvelée. Une comédie brillante qui regorge de trouvailles audacieuses et de dialogues mordants.
Honeyland (Tamara Kotevska et Ljubomir Stefanov)
Quel documentaire fascinant ! Le film dépasse la simple étude de cas pour proposer un microcosme de la société. Le portrait qui est dressé de cette femme forte est absolument marquant et touchant. Il s’agit, hors de tout doute, d’un exemple de résilience hors du commun, présenté dans une œuvre à la fois intime et grandiose
The Twentieth Century (Matthew Rankin)
Pour ce premier long métrage, Rankin s’amuse à gentiment subvertir l’épopée des plus brillants exploits et les fleurons glorieux de l’hymne national. Chez le réalisateur manitobain, chaque scène devient un tableau enivrant qui frappe l’imaginaire. Car au-delà du sujet, c’est véritablement son style qui se démarque, de même que son humour.
Parasite (Bong Joon-ho)
Même si le fait d’inclure la Palme d’or dans son palmarès peut sembler convenu, ici c’est amplement mérité. Une œuvre menée de main de maître; une histoire enlevante de laquelle on ne décroche jamais ; un commentaire acerbe sur les classes sociales; un titre qui veut tout dire.
Marriage Story (Noah Baumbach)
Se montrant digne de sa douce moitié, Noah Baumbach propose une œuvre à la hauteur de son talent pour dépeindre les relations familiales troubles. La courbe dramatique ne sombre pas dans la mièvrerie ou dans la facilité; au contraire, le film capte avec justesse les émotions contradictoires et parfois erratiques qui résultent d’un divorce.
Portrait de la jeune fille en feu (Céline Sciamma)
Je ne pensais pas un jour revivre l’intensité de La leçon de piano, mais le film de Céline Sciamma conjugue d’une manière tout aussi forte l’attirance, l’art et la puissance de la mer. Une œuvre vigoureuse et tendre tout à la fois, qui laisse des images marquantes dans l’esprit du spectateur.
Douleur et Gloire (Pedro Almodóvar)
Cette oeuvre met en scène un personnage qui a apparemment tout, mais qui souffre terriblement jusqu’à ce que la création le ramène à la vie. Portée à bout de bras par Antonio Banderas en pleine forme, Douleur et Gloire demeure une œuvre profondément honnête, voire réflexive, qui ne cherche pas le scandale, mais qui trouve réconfort dans la douceur.
Note : Je n’ai pas encore vu Uncut Gems, Les misérables, Atlantique et A Hidden Life. Mention spéciale à La femme de mon frère, The Irishman, Ad Astra et à Midsommar.
2 janvier 2020
1. Parasite (Bong Joon-ho)
Palme d’or méritée. Un film qui allie subtilité de mise en scène avec un scénario en béton. De loin le film le plus original de l’année.
2. Ex-aequo — trois films qui sortiront en salle en 2020 mais vus en festival en 2019
Les Misérables (Ladj Ly), Une grande fille (a.k.a. Beanpole) (Kantemir Balagov) et Portrait d’une jeune fille en feu (Céline Sciamma)
Trois films très différents (un drame social contemporain explosif, un drame de guerre au scénario très peu prévisible et vu du point de vue de deux femmes, et un film d’époque aux accents féministes porté par un souffle artistique peu commun).
5. Joker (Todd Phillips)
Une grande surprise, un film très sombre dont la finale remet tout ce qui précède en perspective.
6. The Irishman (Martin Scorsese)
Comme l’a dit je ne sais plus quel critique : davantage un film sur le vieillissement que sur la Mafia. Scorsese très à l’aise dans le genre qui en a fait un demi-dieu. Merci Netflix (bouh! Hollywood).
7. Jeanne (Bruno Dumont) — vu au FNC
Je l’avoue, je suis un inconditionnel de Bruno Dumont. J’avais quand même trouvé Jeannette plus fort et plus original. Austère et digne de Bresson.
8. The Farewell (Lulu Wang)
Film de nature autobiographique, qui m’a rappelé un peu le Yi Yi d’Edward Yang. Agréable surprise.
9. Marriage Story (Noah Baumbach)
Comparé aux (très bons) films de Woody Allen et à Rohmer, Baumbach nous propose néanmoins son « Scènes de la vie (post-)conjugale », qui ne manque pas d’humour ni d’émotions. À la fois grinçant, tendre et touchant. Merci Netflix (bis).
10. Once Upon a Time… in Hollywood (Quentin Tarantino)
Pas son meilleur (loin de là), mais toujours jouissif pour le cinéphile avec son récit « uchronique », quelques morceaux de bravoure (la scène au ranch Spahn, entre autres) et ses multiples références aux films de série B et obscurs hits populaires de la fin des années 60…
Il y a certains titres que je n’ai pas vus et qui trouveraient peut-être une place ici, mais tant pis. Anomalie (pour moi) : 5 films américains sur 10 (si l’on inclut The Farewell). Mentions honorables, du côté québécois, à Répertoire des villes disparues de Denis Côté, à Matthias et Maxime de Xavier Dolan et à Genèse de Philippe Lesage, ainsi qu’à quelques documentaires vus aux RIDM, notamment deux films allemands basés sur des archives visuelles (Heimat is a Space in Time, de Thomas Heise), et sonores (Status and Terrain de Ute Adamczewski). Quelques autres titres qui ont raté de peu le Top 10 : Zombi Child (Bertrand Bonello), Dogman (Matteo Garrone), Les Hirondelles de Kaboul (Zabou Breitman et Éléa Gobbe-Mevellec), Sorry We Missed You (un Ken Loach de bonne cuvée), Woman at War (Benedikt Erlingsson), Ceux qui travaillent (autre drame du travail du Suisse Antoine Russbach) et le très sombre (dans le sens littéral) Vitalina Varela de Pedro Costa (celui-là pourrait très bien se glisser dans le Top 10, peut-être à la place de Jeanne).
Du côté des déceptions de l’année, Douleur et gloire (la première fois qu’un film d’Almodovar m’a ennuyé), Little Joe (drame sci-fi trop aseptisé de Jessica Hausner), A Hidden Life (Terrence Malick, plus « malickéen » que jamais) et Aquarela (film écolo de Viktor Kossakovsky, qui après une saisissante première séquence en Russie devient un fond d’écran).
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