25 février 2020
Temps doux menant à de la pluie, ce soir sur la Vieille Rue Potsdammer, mais soleil dans nos cœurs après le visionnement en Compétition du film de Gustav Kervern et Benoit Delépine, le cruel et hilarant Effacer l’historique, sur trois victimes des médias sociaux qui déclarent la guerre aux géants technologiques. Ce dixième film du couple Kervern-Delépine (Saint-Amour, Mammuth) est d’abord et avant tout un manifeste pour l’humain et une révolte contre l’abrutissement technologique dont le monde entier est devenu la victime. Réflexion sociale acérée autant que burlesque, le film est porté par les excellents Benoit Podalydès, Corinne Masiero et surtout Blanche Gardin, dans un inoubliable personnage de « ménagère en jachère ». Cruel, touchant et irrésistible.
Dans la catégorie opposée, Schwesterlein (Petite sœur), drame de Stéphanie Chuat et Véronique Reymond, réunit Nina Hoss et Lars Eidinger, deux des plus grands acteurs allemands dans un couple de jumeaux, Lisa et Sven. Quand Sven, star du théâtre berlinois, a besoin d’une greffe de moelle osseuse, sa sœur Lisa répond présent, comme elle l’a toujours fait, sacrifiant sa famille en Suisse et jusqu’à sa carrière d’auteure de théâtre, pour aider son jumeau à guérir. Mais Sven a autant besoin des soins de sa sœur qu’elle a besoin de lui pour retrouver le goût d’écrire. Ouvertement inspiré du conte Hansel et Gretel, le scénario raffiné des réalisatrices suisses Reymond et Chuat est dirigé avec maîtrise et donne lieu à des scènes bouleversantes. Cruel, touchant et irrésistible.
Des hôpitaux suisses, on saute dans Siberia, l’archipel intérieur d’Abel Ferrara où Willem Dafoe interprète un ermite ayant fui dans les montagnes russes pour échapper aux souvenirs qui le hantent. Ce goulag de l’esprit prend la forme de rêves, de souvenirs et mêmes de présences démoniques. Dommage que le scénario de Ferrara comporte autant de phrases clichées et que son montage coupe le fil de la prestation de Dafoe, qui donne tout ce qu’il a. Cruel, parfois touchant et malheureusement résistible.
Bonheur du jour
Revoir Jason et ses huîtres de Nouvelle-Écosse au sein de l’événement présentant le festival canadien Devour, consacré au cinéma culinaire. Inspiré de la défunte section Culinary Cinema de la Berlinale, Devour est devenu le festival de films culinaires le plus important au monde, attirant des milliers de personnes chaque année en octobre dans la petite ville de Wolfsville en Nouvelle-Écosse. En plus des huîtres, pétoncles et homards étaient au rendez-vous. Menoum !
Lendemain de la veille
Les files d’attente pour les projections de presse à l’entrée du Berlinale Palast, chose inconnue auparavant et les nouveaux horaires qui confondent tous les vieux habitués (dont nous sommes).
24 février 2020
Si, grâce à son champagne et à son soleil, Cannes est le festival du glamour Berlin, pour cause de schnaps et de grisaille, est celui de la politique. En ce dimanche berlinois, la politique était cependant loin dans les pensées lors de la projection du délicieux Pinocchio de Matteo Garrone (Dogman) dans la section Berlinale Special. Roberto Benigni, fan de l’histoire au point d’avoir voulu y jouer lui-même le rôle-titre dans sa production malheureuse de 2002, y revient ici dans le rôle de Geppetto, le pauvre père de l’aventureuse marionnette de bois. C’est touchant, souvent drôle, et parfois cruel comme tous les bons contes de fées. Les effets spéciaux qui donnent au visage du jeune Frederico Lelapi l’apparence d’une marionnette de bois y sont au service de l’histoire (et non l’inverse) et les somptueux décors offre un bel écrin pour les personnages habilement déguisés. Deux heures de bonheur mêlées de quelques larmes parce que Roberto Benigni en Geppetto c’est… Vraiment c’est… (sniff!)
Un paquet de Kleenex plus tard, nous avons vu Undine de l’Allemand Christian Petzold, certainement le film le plus attendu de la Compétition. Ce nouvel opus du talentueux réalisateur de Barbara (2012) et de Transit (2018) est une exquise histoire d’amour basée sur la légende des sirènes, lesquelles tuaient les hommes qui les délaissaient. Paula Beer, qu’on voit partout depuis Frantz (2016), y interprète Undine, une jeune guide qui effectue la présentation de maquettes historiques sur la ville de Berlin. Suite à une déception amoureuse, elle rencontre Christoph (Franz Rogowski), un plongeur industriel avec lequel elle visite les profondeurs des lacs de barrages. Original et inventif, le scénario de Petzold est soutenu par la subtile caméra de son vieux comparse Hans Fromm, lequel crée de magiques atmosphères subaquatiques. Le couple Beer-Rogowski, déjà rencontrés dans Transit, est d’une chimie palpable à l’écran. Une belle histoire d’amour brillamment menée et pleine de sensibilité, au point de nous faire saluer la pluie qui tombait drue en sortant de la projection, puisqu’elle nous gardait dans l’esprit aquatique du film.
Les traditions ancestrales en conflit avec la religion des colonisateurs composaient les thèmes des deux films suivants, soient Todos os mortos du Brésilien Caetano Gotardo, présenté en Compétition et High Ground de l’Australien Stephen Maxwell Johnson, dans Berlinale Special. Situé dans le Brésil de 1899 où l’esclavage vient tout juste d’être aboli, Todos os mortos présente un brillant portrait des femmes de deux familles en conflit. Les Soareses, producteurs de café et anciens possesseurs d’esclaves sont confrontées à demander les services d’Ina, une ancienne esclave autrefois renvoyée à cause de sa fidélité à la religion de ses ancêtres africains. Sensuelle dans ses textures, l’approche de Caetano juxtapose les époques pour illustrer l’importance de l’héritage ancestral même au sein de la vie moderne. Son film montre de subtils portraits de femmes fortes et complexes, confrontées dans leurs convictions religieuses les plus profondes, mais forcées par la force des choses à l’entraide.
À l’opposé, Stephen Maxwell dans High Ground, fait le récit d’un conflit ouvert et meurtrier entre guerriers Maoris et chasseurs de tête blancs dans l’Australie de 1931. Douze ans après que sa famille ait été massacrée sans raison par des chasseurs de tête, le guerrier Baywara cherche vengeance. À l’écoute de la sagesse la Mère-Terre, son père souhaite, lui, restaurer l’équilibre détruit par la violence et la colère.
L’un et l’autre film met en lumière les équilibres millénaires détruits par l’arrivée des colonisateurs blancs, tant au niveau de l’écologie que du sacré. Là où les deux réalisateurs font fort, c’est de mettre en valeur à quel point ces deux questions sont irrémédiablement liées.
Bonheur du jour : Le party de l’ambassade du Canada est LA soirée à ne pas manquer à la Berlinale. Compte tenu de sa proximité sur Potsdammer Platz et de l’engouement des Allemands pour tout ce qui concerne le Canada, c’est toujours réussi. Surtout depuis que notre ami Jason y amène dans ses valises des huîtres fraîches de Nouvelle-Écosse. Huître par huître, nous nous rapprochons de l’Illumination bouddhique. Cependant, la dissolution de l’ego étant un long processus (surtout pour un journaliste), cela prend beaucoup d’huîtres !
Lendemain de veille : Littéralement, après avoir copieusement arrosé les huîtres de Jason de gin tonic Ungava. Nous allons revoir Jason derrière son bar à huîtres demain pour l’événement de promotion de Devour, le festival canadien consacré au cinéma culinaire. Esprit de Bouddha, me voici !
23 février 2020
Donald Trump, au vu de la victoire de Parasite aux derniers Oscars, a demandé à ravoir un nouveau Gone with the Wind (1939). Notre opinion diffère : ce que Trump veut ravoir, celui qu’il rêve d’incarner, c’est Lewt, le beau cowboy raciste et abusif interprété par Gregory Peck dans Duel in the Sun (1946). Ce classique de King Vidor restauré dans toute sa splendeur par le Museum of Modern Art de New York, laisse Gone with the Wind, dont on a critiqué le racisme et la misogynie, loin derrière sur ces deux éléments. Pour compenser, le même Gregory Peck incarnera plus tard le rôle-culte d’Atticus Finch dans To kill a mocking bird (1962). Présenté dans la section Rétrospective, laquelle célèbre cette année les films de Vidor, Duel in the Sun permet de comprendre la nostalgie d’une certaine Amérique pour son passé. Et son amour des guns !
À l’autre extrémité du Western, First Cow de l’américaine Kelly Reichardt, présenté en Compétition, montre une exquise amitié entre deux colons, un Américain et un Chinois, dans l’Oregon des années 1820. L’industrie laitière étant la source de pollution que l’on sait, il est difficile d’imaginer l’impact au quotidien de la première vache qui fit son apparition dans cet état alors peu développé de la côte ouest. Pas de lait, pas de gâteau, pas de beignet, pas de crêpe, ni aucune des finesses de la pâtisserie. Spécialiste des amitiés entre hommes, Kelly Reichardt nous montre deux artisans unis dans leur désir de réussite dans ce nouveau lieu d’opportunités que représentait alors l’Ouest américain. C’est beau, un peu lent, brillamment filmé et cela parvient à nous captiver pendant deux heures (sans coups de fusil).
De la vache de Kelly Reichardt, nous sommes passé au ver de terre de Philippe Garrel. Tourné en noir et blanc (pour faire style), Le sel des larmes est d’un ennui congénital dès la première seconde, un malheureux ersatz de Godard, un exercice d’école du cinéma par ses moins bons étudiants. Pour résumer : c’est un type, il fait tomber des nanas amoureuses de lui, et il les laisse. Puis, il laisse tomber son père, qu’il aime. Voilà !
Si par contre une véritable histoire vous intéresse Minamata d’Andrew Levitas, étoile montante du cinéma américain, nous a plus autant par sa très belle facture cinématographique que par le jeu de Johnny Depp, qui révèle ici l’acteur qu’il peut être avec le personnage tourmenté de W. Eugene Smith. Photographe alcoolique mais génial, Smith fut envoyé en 1971 par le magazine Life pour documenter le scandale de Chiasso, compagnie de produits chimiques qui pendant 15 ans déversa du mercure dans une baie peuplée de pauvres pêcheurs qui dépendaient du poisson pour leur subsistance.
Bonheur du jour
Se retrouver pour une projection matinale dans la magnifique salle ovale du Zoo Palast, ses boiseries Art Déco, le rouge de ses velours et son splendide rideau de scène jaune beurre. En 2009 l’actrice Tilda Swinton, visiteuse de longue date de la Berlinale, parlait avec nostalgie du Zoo Palast du temps où c’était Berlin-Ouest qui accueillait le festival. On ne peut franchement pas lui en vouloir ! Ces anciennes salles, dans leur splendeur d’antan, célèbrent non seulement le cinéma en tant qu’art mais aussi et surtout en tant qu’expérience collective. Une autre chose que Netflix ne pourra jamais donner, et non des moindres.
Lendemain de veille
Entendre des Allemands discuter nonchalamment d’Alfred Bauer, premier directeur de la Berlinale, comme un Nazi, membre des Waffen-SS. Son nom a maintenant été rayé de l’Ours d’argent qui célébrait l’inventivité cinématographique, par ailleurs remporté 2013 par Denis Côté. Ce n’est pas que ce soit mal de discuter du passé trouble de l’Allemagne (au contraire), mais le ton a changé. L’accablement d’autrefois a laissé place à la résignation. En regard des attentats racistes de mercredi à Hanau, c’est extrêmement troublant.
2025 © SÉQUENCES - La revue de cinéma - Tous droits réservés.