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La semaine de la critique de la Berlinale 2022, une épopée cinématographique

1er mars 2022

La semaine de la critique de Berlin nous présente des œuvres étranges et déroutantes, aux propositions cinématographiques expérimentales. Les réalisateurs n’hésitent pas à mettre au rebut les techniques classiques pour se confronter, et plus encore, nous confronter, à de nouvelles façons de raconter des histoires. Replaçant au centre de leurs créations le pouvoir des images, les cinéastes s’abrogent de toute linéarité narrative et ouvrent la porte au flux infini des couleurs, des sons, de ces moments de vies capturé par leurs caméras.  Avec Notes for a Déja Vu, le collectif mexicain Los Ingrávidos nous propose une accumulation d’images d’archives, métaphore des souvenirs qui s’amoncellent dans nos mémoires. La voix off répète inlassablement « memories are gone but images are here ». Alors que les souvenirs s’effacent, les images, gravées sur la pellicule, demeurent, à l’abri des affres du temps. La caméra devient une boîte à fantômes encapsulant les âmes à travers son objectif.

Love is a Dog From Hell de Khavn de la Cruz

Les grands mythes de la littérature sont également remis au goût du jour, de manière plus trash, plus colorés, plus sexuels aussi. De Nosferatu à Orphée, en passant par des adaptations de Shakespeare ou encore de Bukowski, c’est une réflexion sur l’art en général qui nous est proposée ici. Intitulée « Mythunderstanding », la catégorie rassemblant le film Love is a Dog From Hell de Khavn de la Cruz et Sycorax de Lois Patiño et Matías Piñeiro, nous montre que le cinéma lui-même est créateur de mythes. Les images se mêlent et s’entremêlent, les couleurs se déchaînent, la musique exulte et accompagne l’errance de nos personnages. Tous ces films ont la particularité de nous offrir un voyage à travers l’espace et le temps, à la recherche d’une quintessence, d’un art fait de sensation et d’émotions. Parfois hermétiques et obscures, certaines œuvres peinent à nous embarquer dans leurs univers délirants, mais elles soulignent toutefois l’horizon immense, aux régions encore inconnues, que forme le cinéma. S’il faut s’accrocher pour se laisser entraîner, les propositions sont tellement étonnantes que nous nous prêtons au jeu, cherchant à comprendre messages cachés et références implicites.

La semaine de la critique de Berlin nous sert sur un plateau des films engagés, disséquant les images pour en extraire la substantifique moelle, celle qui fait de l’art une entité toujours en mouvement, toujours expérimentant, celle qui fait du cinéma le septième art et non pas un simple divertissement.  

CAMILLE SAINSON

Séquences à la Berlinale 2022 – Jour 8

18 février 2022

Les prix ayant été remis hier soir la Berlinale appartiennent désormais aux cinéphiles. Oh! Bonheur… Voici quelques perles, glanées ça et là.

Somewhere Over the Chemtrails d’Adam Koloman Rybanský

Dans la section Panorama, Somewhere Over the Chemtrails du Tchèque Adam Koloman Rybanský explique le cheminement du racisme et des théories de conspiration au sein d’un petit village de la République Tchèque. Lors des fêtes de Pâques, un des villageois est sérieusement blessé par un minivan. Bronya (Michal Istenik), le chef des pompiers volontaires, est convaincu qu’il s’agit d’une attaque terroriste perpétrée par un « Arabe ». Son collègue Standa (Miroslav Krobot), déjà secoué par les chemtrails (traces visibles dans le ciel, laissées par le passage d’avions, considérées par certains conspirationnistes comme de l’épandage de produits chimiques et biologiques effectués dans le cadre d’opérations secrètes), cherche à protéger sa femme sur le point d’accoucher de leur premier bébé. La peur terroriste va forcer cette petite communauté perdue dans la campagne à se terrer chez elle et exacerbe le racisme déjà présent. Bronya, convaincu qu’il faut secouer le village contre la présence des étrangers, va cependant se heurter à la décence de Standa. Un film bien exécuté sur les aléas du racisme, parsemé de pointes d’humour.

Dans la section Berlinale Spécial, Against the Ice du Danois Peter Flinth, un film d’aventure et d’exploration. En 1910, le capitaine Ejnar Mikkelsen (Nikolaj Coster-Waldau) et le mécanicien inexpérimenté Iver Iversen (Joe Cole), embarquent pour une mission d’exploration du Groenland en vue de découvrir ce qui était arrivé à une précédente équipe, disparue sans laisser de traces. L’enjeu est de taille puisque les Américains, suivant les théories de l’explorateur Robert Peary, clament que le territoire est séparé en deux et en revendiquent la moitié. Les deux hommes, abandonnés par l’équipage de leur bateau resté dans une baie de l’île de Shannon, passeront 865 jours seuls sur la banquise. Le film est basé sur le livre Perdu dans l’Arctique écrit par Mikkelsen lui-même. Un magnifique récit de courage et d’aventure, superbement joué et réalisé. Les images sont somptueuses, mais c’est surtout le jeu des deux acteurs qui force l’admiration. Une perle venue des glaces.

Good luck to You, Leo Grande de Sophie Hyde

Notre film préféré de toute la Berlinale, Good luck to You, Leo Grande de l’Australienne Sophie Hyde, présenté dans la section Berlinale Spécial, est un bijou d’humour, de tendresse et de courage de la part des acteurs. Nancy Stokes (sublime Emma Thompson), une enseignante à la retraite, n’a jamais connu le plaisir en 30 ans de mariage. Maintenant veuve, elle engage Leo Grande (Daryl McCormack), un jeune et superbe prostitué, dans l’espoir que ce dernier lui apprenne le plaisir.  Mais Nancy a un agenda bien précis qui va être chamboulé par le charmant Leo. Un huis-clos dans une chambre d’hôtel de luxe où inhibitions physiques et psychologiques explosent au sein d’échanges pétillants d’humour. Emma Thompson a affirmé avoir dû réaliser pour le film un processus d’acceptation de son corps quelle n’avait jamais fait dans sa vie. Un film sur le plaisir féminin, la honte du corps, l’intimité et le courage d’être soi. Une merveille.

ANNE-CHRISTINE LORANGER

Séquences à la Berlinale 2022 – Jour 7

17 février 2022

Les prix de la 72ième Berlinale

Ours d’or — Alcarràs de Carla Simón

Ours d’argent — Grand Prix du Jury : The Novelist’s Film de Hong Sangsoo

Ours d’argent — Prix du Jury : Robe of Gems de Natalia López Gallardo

Ours d’argent — Meilleure direction : Avec amour et acharnement de Claire Denis

Ours d’argent — Meilleure performance d’acteur : Meltem Kaptan dans Rabiye Kurnaz vs George W. Bush d’Andreas Dresen

Ours d’argent — Meilleure performance d’acteur dans un second rôle : Laura Basuki dans Nana de Kamila Andini

Ours d’argent — Meilleur scénario :  Laura Stiler pour Rabiye Kurnaz vs George W. Bush d’Andreas Dresen

Ours d’argent — Contribution exceptionnelle au cinéma : Rithy Panh et Sarit Mang pour Everything Will Be OK de Rithy Panh

Everything Will Be OK de Rithy Panh

Everything Will Be OK
Rithy Panh, cinéaste franco-cambodgien, a consacré la plus grande partie de son œuvre aux massacres perpétrés dans son pays sous la dictature de Pol Pot, lesquels ont décimé toute sa famille. En 2020,  il nous avait donné le douloureux documentaire Irradiés (Prix du meilleur documentaire, Berlinale 2020). Il nous revient en Compétition avec Everything Will Be OK,une dystopie située entre le film d’animation et le documentaire. Dans un futur indéterminé, les animaux décident de réduire les humains en esclavage. Alors que sur des écrans paraissent les pires moments de l’histoire du XXe siècle, des statuettes en terre glaise montrent des animaux en train de vacciner des rangées d’humains masqués, sangliers, gorilles, cerfs et lions prennent le pouvoir, les symboles de la civilisation humaine tombent. Toutes les stratégies de la dictature sont présentées dans un puissant texte en hors-champs, qui sert de justificatif à cette révolution animale. Un sanglier-dictateur contemple des fresques rupestres, annonçant que « bientôt, l’idée même du temps sera interdite. Oui, j’effacerai les visages aussi. Ceux que tu aimais. » C’est étonnant, troublant, parfois désarçonnant, mais jamais ennuyant.

The Novelist’s Film de Hong Sangsoo

The Novelist’s Film
Le cinéaste sud-coréen Hong Sangsoo, bien connu à la Berlinale où ses films ont reçu de nombreux prix, revient cette année avec The Novelist’s Film en Compétition. Cinéaste de l’incertitude, il nous avait habitués à des films non linéaires faits de temporalités multiples et de motivations parfois mystérieuses. Ce n’est pas du tout le cas ici avec The Novelist’s Film. Quoique lefilm, comme tous les films de Hong Sangsoo, soit basé sur la rencontre et les échanges filmés de côté avec une caméra fixe, le récit y est linéaire, basé sur des rencontres de hasard. On retrouve une romancière très connue (Lee Hyeyoung) qui a entrepris un long voyage pour visiter une librairie tenue par une collègue plus jeune (Seo Younghwa), avec laquelle elle avait perdu le contact. Par après, la romancière monte seule dans une tour et tombe sur un réalisateur (Ha Seong-Guk) et sa femme (Cho Yoon-Hee), qui la reconnaissent et lui démontre leur admiration pour son œuvre littéraire. Le trio va se promener dans un parc où ils rencontrent une actrice (Kim Minhee). La romancière essaie de convaincre l’actrice de faire un film avec elle.Hong Sangsoo était allé très loin dans le style qu’on lui connaissait avec The Woman Who Ran (2020) et Introduction (2021), deux films acclamés. Ce nouveau style, linéaire et bavard, non qu’il ne soit bien, nous laisse sur notre faim.

Section Encounters
La section Encounters, instaurée par Carlo Chatrian en 2019, présente des films qui ouvrent des voies en matière de cinéma et leur décerne des prix, histoire de faire avancer le médium. Lors de sa première édition, le public était tombé amoureux de Gunda, un film muet basé uniquement sur une truie dans une ferme et sa troupe de petits. Denis Côté y avait gagné le prix de la meilleure direction avec Hygiène sociale en 2021. Un petit coup d’œil permet d’y faire de belles découvertes, tel À vendredi, Robinson de Mitra Farahani, film sur les messages échangés le vendredi entre les poètes Jean-Luc Godard et Ebrahim Golestan, chacun échoué sur son île durant la pandémie.  Dans un tout autre genre, The City and the City de Christos Passali et Syllas Tzoumerkas relate en six chapitres le drame des juifs grecs de Thessalonique durant la Seconde Guerre mondiale, en reconstruisant les scènes dans la ville actuelle, les alternant avec des documents d’archives.

Encounters a remplacé les sections Natives et Cinéma culinaire, dont on s’ennuie un peu. Force est cependant d’admettre la sagesse des nouveaux directeurs, qui ont voulu placer la Berlinale sous le sceau du cinéma indépendant et engagé, et font ce qu’il faut pour que de nouvelles voix puissent y être reconnues.

ANNE-CHRISTINE LORANGER

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